L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a introduit au sein du Code civil un article 1171 qui dispose qu’est réputé non écrite, dans les contrats d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Le déséquilibre significatif intègre donc le régime du droit commun, sachant des dispositions spéciales le sanctionnant également existent aussi dans différents Codes. Il en va ainsi de

  • l’article L442-1 du Code de commerce (ancien article L442-6) prévoyant que celui qui soumet ou tente de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties engage sa responsabilité.
  • l’article L212-1 du Code de la consommation qui sanctionne les clauses abusives dans des termes identiques à ceux de l’article 1171 du Code civil.

Par une décision du 26 janvier 2022 (Cass. Com., 26 janvier 2022, n°20-16.782), la Cour de cassation fait une première application de l’article 1171 du Code civil et apporte d’importantes précisions sur les conditions d’application de cet article.

En l’espèce, une société conclut un contrat de location financière pour du matériel nécessaire à son activité. Après avoir reçu une mise en demeure visant la clause résolutoire prévue au contrat, elle est poursuivie en paiement par le cocontractant. La société locataire invoque l’article 1171 du Code civil afin que la clause résolutoire soit déclarée non écrite en raison du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties.

Tout d’abord, la Cour de cassation confirme l’application de l’article 1171 du Code civil en ce qu’il ne sanctionne effectivement les clauses abusives que dans les contrats qui ne relèvent pas du champ d’application des dispositions spéciales (en l’espèce, l’article L442-6 ancien du Code de commerce a été exclu car le litige n’entrait pas dans le champ d’application de ce texte). Ce point est donc conforme au principe « specialia generalibus derogant » selon lequel les règles spéciales dérogent aux règles générales (article 1105 al 3 du Code civil).

Ensuite, la Cour de cassation se livre à une première appréciation du déséquilibre significatif de ce texte. En l’espèce, la clause litigieuse n’était pas bilatéralisée, il était notamment prévu que seule la société financière bénéficiait de la faculté de se prévaloir d’une résiliation de plein droit en cas d’inexécution par la société locataire de ses obligations.

A l’occasion de la réforme, la doctrine s’était posée la question de savoir si la Cour de cassation allait retenir le défaut de réciprocité pour caractériser le déséquilibre significatif de l’article 1171 du Code civil, comme c’est le cas dans le cadre de sa jurisprudence sur les clauses abusives en droit de la consommation dès lors qu’une clause est unilatérale.

Dans sa décision du 26 janvier 2022, la Cour de cassation exclut le défaut de réciprocité de l’appréciation du déséquilibre significatif.

Il serait toutefois aléatoire de déduire de la solution de la Cour de cassation que dès lors qu’un contrat est régi par les dispositions générales du droit commun, des clauses unilatérales ne seront pas abusives alors qu’elles le seront lorsqu’un contrat liera un professionnel et un consommateur.

En effet, la Cour de cassation semble justifier le défaut de réciprocité par la nature des obligations dont sont respectivement tenues les parties. En l’espèce, elle tient compte du caractère instantané de l’exécution d’une des parties (mise à disposition de matériel) alors que l’autre partie est tenue d’exécuter ses obligations jusqu’au terme du contrat (paiement d’échéances).

Conseil : l’équilibre des parties et les clauses abusives sont sources d’abondants contentieux, d’autant plus qu’à présent deux interprétations du déséquilibre significatif semblent désormais se côtoyer. La rédaction des contrats doit donc être réfléchie au cas par cas en fonction des besoins, des intérêts et de la qualité des parties en présence afin de sécuriser leurs relations et d’anticiper les litiges.

Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat spécialiste en droit commercial