Dans un arrêt du 26 octobre 2022 (n° 21-14178), publié tant au Bulletin qu’au Rapport annuel de la Cour de cassation et ayant donc vocation à fixer la jurisprudence de cette dernière, la Haute Juridiction casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Amiens. Cette dernière avait rejeté la demande émanant d’un salarié et tendant à la requalification de ses temps d’astreinte en temps de travail effectif. A tort selon la Cour de cassation qui reproche à la Cour d’appel – alors que le salarié invoquait le court délai d’intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l’appel de l’usager – de ne pas avoir vérifié si cette sujétion particulière n’avait pas pour effet de soumettre le salarié, au cours des périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté objectivement et très significativement sa faculté de vaquer à ses occupations personnelles.

Pour ce faire, la Cour de cassation rappelle :

  • La définition légale du temps de travail effectif fixés par l’article L.3121-1 du Code du travail dans sa version applicable aux faits de l’espèce : la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
  • La définition légale de l’astreinte fixée par l’article L.3121-5 du Code du travail dans sa version applicable aux faits de l’espèce : période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif.
  • Le dernier état de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui, dans un arrêt du 09 mars 2021, a considéré que relève de la notion de temps de travail effectif l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées aux travailleurs sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts.

Faisant sienne la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, la Cour de cassation reproche au juge du fond de ne pas avoir vérifié si l’organisation mise en place par l’employeur – et notamment le court délai d’intervention – n’avait pas conduit le salarié à des contraintes d’une telle intensité qu’elle avait empêché ce dernier « objectivement et très significativement », de vaquer à ses occupations personnelles de sorte que ce temps ne pouvait constituer une simple astreinte et devait être requalifié en temps de travail effectif ouvrant droit pour le salarié au paiement du temps de travail correspondant, outre les majorations applicables aux heures supplémentaires le cas échéant.

Conseil : cet arrêt doit attirer l’attention des employeurs sur le fait que la seule qualification d’astreinte dans les documents de l’entreprise ou dans la Convention collective applicable (en l’espèce, l’employeur se prévalait des stipulations de la Convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile qui organise des périodes d’astreinte) ne peut suffire à sécuriser ce dispositif. Quand bien même ces périodes sont qualifiées d’astreinte, si l’organisation mise en place par l’employeur ne permet pas au salarié de vaquer librement à ses occupations personnelles pendant cette période, il existe un risque important de requalification des périodes d’astreinte en temps de travail effectif. En effet, en cas de contentieux, le juge devra analyser la nature de la sujétion à laquelle le salarié est soumis pour déterminer si le temps litigieux constitue une astreinte ou du temps de travail effectif, le temps d’intervention imposé au salarié et la fréquence des interventions durant la période d’astreinte constituant deux critères particulièrement importants.

Sophie WATTEL
Avocat spécialiste en droit du travail