CadrActu Spéciale – avril 2015 – Profession d’avocat : une révolution culturelle ?

mercredi 29 avril 2015 | CadrActu

L’édito du mois…

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Profession d’avocat : une révolution culturelle ?

Le décret du 11 mars 2015, qui est entré en vigueur le 1er avril dernier, invite à réfléchir à une nouvelle approche de la pratique du contentieux. Visant à favoriser le recours à des modes amiables de résolution des différends, avant tout recours au juge, il est la dernière étape en date d’un processus lent et durable. Il est crucial pour les justiciables (et notamment les entreprises) et leurs avocats de le comprendre pour éviter d’en subir les conséquences en termes d’allongement des délais procéduraux, mais surtout pour en tirer parti afin de révolutionner une approche exagérément conflictuelle des contentieux.

Parfois les grandes révolutions proviennent d’une petite réforme. Pour un lecteur pressé, le décret n°2015-282 du 11 mars 2015, relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, peut sembler constituer une norme technique réglementaire de plus, dans une matière procédurale qui en compte déjà beaucoup. Pourtant, par la simple modification de deux textes du Code de procédure civile, c’est peut-être à l’aube d’une révolution culturelle de la profession d’avocat que l’on assiste. De quoi s’agit-il ? L’avant dernier alinéa de l’art. 56 du Code de procédure civile dispose désormais : « sauf justification de motifs légitimes tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elles intéressent l’ordre public, l’assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». Certes, les spécialistes remarqueront que, placée à la fin de l’art. 56, cette nouvelle mention obligatoire devant figurer dans l’assignation n’est pas prévue à peine de nullité. Son omission suivra donc le même sort que l’obligation d’indiquer les pièces sur lesquelles la demande est fondée, celles-ci devant être énumérées sur un bordereau annexé à l’assignation (indication exigée par l’alinéa précédent de l’art. 56), à savoir l’absence de sanction, puisque la Cour de Cassation a estimé que cette obligation « n’est assortie d’aucune sanction et ne constitue pas une formalité substantielle ou d’ordre public » (Cass. Civ. 2ème 3 avril 2003, Bull. civ. II n°94). Cette analyse, si elle est techniquement exacte, manque de perspectives stratégiques.

En effet, il convient d’apprécier cette première modification apportée par le décret du 11 mars 2015 par rapport à une seconde modification, celle de l’art. 127 du code de procédure civile, qui dispose désormais : « s’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation de médiation ». Là encore, rien de nouveau serait-on tenté de dire, dans la mesure où le juge pouvait déjà tenter une conciliation ou proposer une médiation aux parties. Pourtant, à bien y regarder, il se pourrait que la combinaison de ces deux nouvelles dispositions révolutionne le métier d’avocat et la manière d’envisager le contentieux. En effet, dans un contexte de contraintes budgétaires et d’engorgement de l’institution judiciaire, l’État envoie clairement le message suivant lequel le juge n’est désormais plus la première instance devant laquelle doivent se régler les litiges : place en premier lieu à la discussion et à la négociation (ce message se trouvait déjà dans la directive CE 0208/52 du 22 mai 2008 ainsi que dans les conclusions de la mission Justice au XIXème siècle). Il faudra attendre de voir comment les juges vont, en pratique, se saisir de ces nouveaux textes, mais il est probable que beaucoup proposent (ou imposent dans certains cas) systématiquement une mesure de conciliation ou de médiation lorsqu’ils relèveront que l’assignation (ou plus largement l’acte introductif d’instance, puisque la requête et la déclaration qui saisit la juridiction de première instance sont également visées) ne précise pas les diligences que les parties ont entreprises, avant l’introduction de l’instance, en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige.

La conférence des bâtonniers a déploré ce décret « fourre-tout » qui voudrait imposer « de fait » la tentative préalable de résolution des litiges en amont, « sans réellement le dire » (Rapport du Bâtonnier Gras à l’assemblée générale du 27 mars 2015), rallongeant ainsi les délais de procédure et conférant au juge le pouvoir d’imposer aux parties une mesure de conciliation, qui jusqu’ici devait recueillir leur accord, notamment dans les procédures commerciales (sont en effet supprimés dans les articles 850-2 et 887 du Code de procédure civile les mots « avec l’accord des parties », s’agissant des procédures devant le tribunal de commerce et devant le tribunal paritaire des baux ruraux). Plutôt que de se plaindre de ce qui est souvent qualifié, mais à torts, de « déjudiciarisation », la profession d’avocat serait mieux inspirée d’en comprendre les enjeux et d’en saisir les opportunités. Ainsi, ce serait enfin l’occasion de pratiquer à grande échelle la convention de procédure participative, qui a été introduite par la loi du 22 décembre 2010, avec une entrée en vigueur le 1er septembre 2011 (articles 2062 et suivants du Code civil), dont les dispositions sont restées lettre morte faute, pour les avocats, de s’y être réellement intéressé. Le mécanisme est pourtant singulier, puisqu’il permet aux parties, chacune assistée de son propre avocat, de tenter de régler leurs différends, avant toute saisine du juge ou d’un arbitre, en organisant un débat contradictoire avec échange de pièces et conclusions, afin de tenter de parvenir à un accord, lequel peut être homologué facilement par le juge. Si les parties ne parviennent pas à un accord au terme de cette procédure participative, la plus diligente soumet alors le litige au juge, en étant dispensée de la conciliation ou de la médiation préalables (article 2066 al. 2 du Code civil).

Il est plus qu’étonnant que, se plaignant fréquemment des lenteurs des procédures et de « l’aléa judiciaire », les avocats ne se soient pas encore appropriés ce nouvel instrument de résolution amiable des différends (lorsque celui-ci n’est pas exclu par une disposition spéciale, comme en droit du travail), dont ils ont le monopole et qui assure à leurs clients des conditions de négociation comparables à une discussion devant un juge, puisqu’un débat contradictoire sur les moyens juridiques est organisé. Il serait désormais grand temps de le faire car, à défaut, les avocats subiront non seulement les deux inconvénients ci-dessus rappelés, mais aussi l’intervention systématique de tiers (conciliateur ou médiateur), alors qu’ils ont la liberté d’organiser eux-mêmes une procédure participative qui peut être rapide, sûre et entièrement maîtrisée par les parties avec leur assistance.

Afin d’anticiper la probable systématisation des mesures de conciliation ou de médiation, ordonnées ou proposées par le juge, les avocats seraient bien inspirés en systématisant la proposition de conclure, avant tout litige, une convention de procédure participative, notamment en précisant cette possibilité dans toutes les lettres de mise en demeure qu’ils adressent pour le compte de leurs clients. Si l’adversaire ne saisit pas l’occasion de régler amiablement le différend, ce fait sera indiqué dans l’assignation, ce qui permettra d’éviter que le juge ait la tentation de recourir à un mode amiable de résolution des conflits. Si au contraire les parties s’entendent pour conclure une convention de procédure participative, elles maximisent les chances de parvenir à un accord amiable, grâce à l’assistance et aux conseils de leur avocat respectif, à l’issue d’un débat contradictoire qui facilite incontestablement l’évaluation des chances de succès ou des risques de perte d’un procès ultérieur. Dans l’hypothèse où les parties, au terme de la procédure participative ne parviennent pas à un accord (ou seulement à un accord partiel), le temps passé à négocier n’aura pas été pour autant perdu, puisque d’une part le cours de la prescription aura été suspendu et, d’autre part, les conclusions et les bordereaux de pièces auront été déjà préparés, ce qui présuppose que l’affaire sera en état d’être plaidée très rapidement.

En conclusion, le décret du 11 mars 2015, par deux dispositions procédurales qui peuvent paraître anodines, provoquera peut-être une mutation de la profession d’avocat telle que nous n’en avons pas connu depuis 25 ans. Cette mutation va de pair avec une philosophie de la justice qui tend à placer le juge légèrement en retrait par rapport à la négociation et aux modes de résolutions amiables des différends. Il appartient donc désormais aux parties de se comporter raisonnablement en recherchant de bonne foi des manières non contentieuses de résoudre leur litige ; il serait important que les avocats les accompagnent dans cette démarche, plutôt que de laisser à d’autres le champ libre sur le marché de la médiation et autre conciliation. Des outils efficaces sont à leur disposition, il leur appartient désormais de s’en saisir.

Jean-Pascal CHAZAL

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