La Cour de cassation, effectue un revirement de jurisprudence s’agissant de la garantie d’éviction due par le cédant d’une marque à l’égard du cessionnaire (celui qui l’acquiert).

Dans les contrats de vente, l’article 1628 du Code civil pose le principe selon lequel le vendeur est toujours soumis à une garantie d’éviction qui résulte de son propre fait. Cette disposition est d’ordre public et il n’est pas possible d’y déroger par contrat.

Il est rappelé que, aux termes de l’article L.714-6 du Code de la propriété intellectuelle, encourt la déchéance de ses droits, le titulaire d’une marque devenue, de son fait, propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service désigné par la marque. La déchéance entraine la perte des droits sur la marque. Selon l’article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle, lorsque la demande de déchéance de la marque est portée devant l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), elle peut être introduite par toute personne physique ou morale. En revanche, lorsqu’elle est introduite devant les tribunaux judiciaires, elle doit émaner de toute personne intéressée.

Cependant, et se fondant sur le principe de garantie d’éviction, la Chambre commerciale de la Cour de cassation jugeait traditionnellement que le cédant de droits portant sur une marque n’était pas recevable à agir en déchéance des droits sur celle-ci, dans la mesure où cela tendait à l’éviction de l’acquéreur (Cass. Com. 31/01/2006, n° 05-10.116, Bull. 2006, IV, n° 27). En effet, et dans ce cas, le cédant évincerait le cessionnaire des droits qu’il lui a cédé en contradiction avec la garantie d’éviction à laquelle il est tenue.

Dans un arrêt rendu le 28 février 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et précise qu’il convient de juger désormais qu’il est fait exception à la règle de la garantie d’éviction lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de fais fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire. Ce revirement serait justifié, dans la mesure où, d’une part, selon la Cour de cassation, la garantie d’éviction au profit du cessionnaire cesse lorsque l’éviction est due à sa faute. Ainsi, lorsque la marque devient déceptive en raison de l’usage qui en est fait par le cessionnaire, la garantie cesserait. D’autre part, la Cour de cassation considère que « le cédant peut être le mieux, voire le seul, à même d’identifier l’existence d’une tromperie effective du public ou d’un risque grave d’une telle tromperie » (Cass. Com. 28/02/2024, n° 22-23.833).

L’arrêt a été rendu dans une affaire dans laquelle la cession de deux marques, reprenant le nom de famille du dirigeant du cédant, avait eu lieu au cours d’une procédure collective. Alors que le cessionnaire avait agi en concurrence déloyale et en contrefaçon des marques qu’elle avait acquises à l’encontre de l’ancien dirigeant du cédant, celui-ci a sollicité à titre reconventionnel la déchéance pour déceptivité des droits du cessionnaire sur les marques en raison des usages qui ont été réalisés postérieurement à la cession et qui étaient, selon lui, trompeurs. En effet, il ressort de l’arrêt que l’exploitation postérieure à la cession était de nature à faire croire au public que l’ancien dirigeant de la société, dont le nom de famille était utilisé à titre de marque, participait toujours à la création des produits marqués.

Sur la base de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, le cédant était donc recevable à demander la déchéance des marques au titre de cet usage.

Il est par ailleurs précisé que dans cet arrêt, la Cour de cassation a renvoyé à la Cour de justice de l’Union européenne la question de savoir si, sur le fond, la déchéance d’une marque constituée du nom d’un créateur en raison de son exploitation postérieure à une cession de marque dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que ce créateur participait toujours à la création des produits marqués, alors que tel n’était pas le cas, est conforme au droit de l’Union européenne.

Il reste alors à attendre la position de la plus haute juridiction européenne, afin de savoir si cette exploitation de la marque pourrait justifier sa déchéance.

Me Jean-Pascal CHAZAL, Avocat spécialiste en Droit commercial, des affaires et de la concurrence
Me Marine COMTE, Avocat en droit commercial