Dans un arrêt du 30 septembre 2020 destiné à une très large publication et ayant donc une portée importante (publication au Bulletin, au Rapport de la Cour de cassation, etc.), la Chambre sociale de la Cour de cassation infléchit sa jurisprudence relative aux effets d’une cession partielle d’activité lorsqu’un salarié exerce en partie ses fonctions dans le secteur d’activités cédé et en partie dans un secteur d’activités non cédé, et ce sous l’effet de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Sur le fondement de l’article L. 1224-1 du Code du travail, qui est d’ordre public, la Cour de cassation considère que lorsqu’un salarié n’exerce qu’une partie de ses fonctions dans le secteur d’activités faisant l’objet d’une cession d’entreprise, son contrat de travail est transféré pour la partie d’activité qu’il consacrait à ce secteur (Cass. Soc. 22/06/1993, n° 90-44705, Bull. civ. V n° 171). Cette jurisprudence conduit à une divisibilité du contrat de travail, qui peut paraitre désavantageuse pour le salarié dans la mesure où elle le conduit à être titulaire non plus d’un contrat à durée indéterminée à temps complet auprès d’un seul employeur, mais de deux contrats à durée indéterminée à temps partiel auprès de deux employeurs distincts (voire de trois, ou plus selon les conditions de l’opération).

Afin de limiter les effets d’une telle divisibilité du contrat de travail, la Cour de cassation a considéré que lorsque le contrat de travail du salarié s’exécutait pour l’essentiel dans le secteur d’activités repris, l’ensemble de son contrat de travail devait être transféré au cessionnaire (Cass. Soc. 30/03/2010 n° 08-42065, Bull. civ. V n° 78). Cette position était alors conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de la communauté européenne (devenue aujourd’hui Cour de justice de l’Union européenne – ci-après CJUE) qui avait considéré dans son arrêt « BOTZEN » du 07 février 1985 que la directive relative aux droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise ne devait pas trouver à s’appliquer lorsqu’un travailleur, bien que n’appartenant pas à la partie transférée de l’entreprise, exerçait certaines activités comportant l’utilisation de moyens d’exploitation affectés à la partie transférée ou qui, étant affecté à un service administratif de l’entreprise qui n’a pas été lui-même transféré, effectuait certaines tâches au profit de la partie transférée. Le caractère résiduel de l’activité exercée par le salarié au profit de l’entreprise transférée excluait donc le transfert de son contrat de travail.

Cependant, par un arrêt du 20 mars 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a fait évoluer sa jurisprudence en précisant que « le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que les droits et les obligations résultant d’un contrat de travail sont transférés à chacun des cessionnaires, au prorata des fonctions exercées par le travailleur concerné, à condition que la scission du contrat de travail en résultant soit possible ou n’entraine pas une détérioration des conditions de travail ni ne porte atteinte au maintien des droits des travailleurs garantis par cette directive, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier ».

L’hypothèse d’un transfert au seul cessionnaire pour lequel le travailleur est conduit à exercer ses fonctions à titre principal est ainsi écarté par la Cour de justice de l’Union européenne qui considère que si cette solution préserve les intérêts du travailleur, elle fait abstraction des intérêts du cessionnaire. La Cour précise que le transfert du contrat de travail à chacun des cessionnaires (il y avait plusieurs cessionnaires en l’espèce) au prorata des fonctions exercées par le travailleur, permet, en principe, d’assurer un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts des travailleurs et la sauvegarde de ceux des cessionnaires. Elle note que le partage du contrat de travail peut se faire en fonction de la valeur économique des lots et en fonction du temps de travail consacré par le travailleur et ajoute que, dans l’hypothèse où une telle scission du contrat de travail se révèle impossible à réaliser ou porte atteinte aux droits du travailleur, l’éventuelle résiliation de la relation de travail qui s’en suit doit être considérée comme intervenue du fait du ou des cessionnaire(s), quand bien même cette résiliation serait intervenue à l’initiative du travailleur.

Reprenant à la lettre l’attendu de la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de cassation casse un arrêt de Cour d’appel ayant jugé que la prise d’acte par la salariée était justifiée par un manquement suffisamment grave de l’employeur qui avait considéré que la salariée exerçant ses fonctions à 50% dans le cadre de l’activité cédée et à 50% dans le cadre de l’activité non cédée, devait voir son contrat de travail divisé et poursuivi entre les deux entités. La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir caractérisé l’une des trois exceptions (transfert partiel impossible, détérioration des conditions de travail, atteinte aux droits du salarié) qui seules permettent désormais de faire échec au principe selon lequel « lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome concernant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d’activité non repris, le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l’activité qu’il consacre au secteur cédé ».

Ce faisant, sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation parait faire prévaloir à nouveau le principe de la divisibilité du contrat de travail. Force est de constater que l’exercice « pour l’essentiel » des fonctions du salarié au profit de l’entreprise cédante ou cédée n’est pas mentionné au titre des exceptions au transfert partiel du contrat de travail et qu’il semble donc que la Cour de cassation abandonne ou au moins relativise ce critère. Celui-ci pourrait toutefois être pris en considération au titre de l’appréciation de la « détérioration des conditions de travail » générée par la divisibilité du contrat de travail du fait de la cession partielle d’activité. Il conviendra de se montrer attentifs quant aux arrêts que rendra prochainement la haute juridiction sur ce point.

Sophie WATTEL, avocat spécialiste en droit du travail