Par une décision en date du 12 février 2020 (n°17-31.614), la Cour de cassation est venue apporter des précisions concernant le calcul du préjudice subi par une entreprise victime d’un acte de concurrence déloyale.

A titre de rappel, un acte de concurrence déloyale est sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382) relatif à la responsabilité civile extracontractuelle, ce qui implique de démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

En l’espèce, une société est victime d’un acte de concurrence déloyale pratiqué par une autre société visant à tromper les consommateurs en présentant faussement ses produits comme réalisés « made in France et en se présentant comme spécialiste de la taille du cristal.

La décision commentée ne porte pas sur qualification de l’acte concurrence déloyale mais sur la détermination du préjudice puisque les juges ont eu à s’interroger sur les modalités d’évaluation du préjudice subi par l’entreprise victime des pratiques litigieuses.  S’il peut sembler aisé d’évaluer un préjudice économique (manque à gagner et perte subi), cela peut, en revanche, se révéler plus compliqué lorsque les effets négatifs sont difficilement quantifiables.

Pour l’évaluation d’un préjudice causé par un acte de concurrence déloyale de ce type, il convient de retenir la perte de la marge brute. Pour ce faire, il faut identifier le chiffre d’affaires perdu par l’entreprise victime duquel sera déduit le prix de revient, ce qui permet de prendre en compte les charges qui auraient été supportées si le chiffre d’affaires avait été réalisé par l’entreprise victime.

Or, la Cour d’appel a condamné l’auteur des faits à payer la somme de 300 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par l’entreprise victime de l’acte de concurrence déloyale en prenant en considération, dans son calcul, non pas le prix de revient de l’entreprise victime mais le prix de revient de l’entreprise déloyale, lequel a bénéficié d’un prix de revient beaucoup plus bas que l’entreprise victime, puisque la taille du cristal s’effectuait en Chine, nécessitait moins d’emplois et que la part de la taille dans son chiffre d’affaire était moins importante par rapport à cette dernière.

Contestant cette décision, l’entreprise déloyale a formé un pourvoi en cassation aux motifs que l’évaluation du préjudice ne pouvait pas être réalisée en considération de son propre profit mais que ladite évaluation ne devait résulter que de la réparation du seul préjudice subi par la victime, sans perte ni profit pour celle-ci.

La Cour de cassation a donc eu à se demander s’il fallait retenir le prix de revient de la société victime ou celui de la société déloyale pour évaluer le préjudice subi par la société victime. Rejetant les arguments du pourvoi, la Cour de cassation a retenu le prix de revient de l’entreprise déloyale de la même manière que la Cour d’appel.

Dans sa décision pédagogique, elle rappelle d’abord, les principes d’indemnisation en matière de responsabilité civile et notamment celui consistant à rétablir l’équilibre détruit par le dommage et à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte, ni profit pour elle. Puis, elle atténue ce principe en considérant, toutefois, que dès lors que les effets préjudiciables ne pouvaient être que difficilement démontrés, ce qui était le cas en l’espèce (notamment l’appropriation des efforts et investissements intellectuels, matériels ou promotionnels d’un autre opérateur économique, ou s’affranchir d’une règlementation dont le respect a nécessairement un coût, dont il en résulte un préjudice essentiellement moral), il est possible de prendre en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des faits.

Ce faisant, la Cour de cassation assouplit le principe de réparation intégrale, consistant à indemniser tout le préjudice subi par la victime mais rien que le préjudice, et tend à sur-indemniser l’entreprise victime.

Cette solution peut sembler peu satisfaisante mais dans l’hypothèse de difficultés liées à l’évaluation d’un préjudice économique, les juges apprécieront l’équilibre des intérêts en présence, et il peut, ainsi, arriver que la solution retenue conduise à faire prévaloir les intérêts de la victime.

 

Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat spécialiste en droit commercial

et Clémence LARGERON, Rédactrice – Documentaliste