Par une décision du 14 septembre 2023 (n°21/05171), la Cour d’appel de Versailles s’est livrée à l’appréciation d’une clause de non-concurrence stipulée dans un contrat de prestations informatiques sur laquelle il est intéressant de revenir.
En l’occurrence, une société de conseil en informatique confie à un prestataire la réalisation d’une prestation de 3 mois chez l’un de ses clients portant sur la création d’une application. Dans le contrat, il était stipulé une clause selon laquelle le prestataire renonce à travailler avec le client sous quelle que forme que ce soit pendant 12 mois à compter de la fin de sa mission. En cas de non-respect, il était prévu que le prestataire s’engage à verser à la société de conseil en informatique une indemnité égale à un an de salaire brut des personnes détachées auprès du client.
Le contrat ayant été renouvelé à plusieurs reprises, la prestation s’est finalement étendue sur une durée de 2 ans. Néanmoins, soutenant avoir découvert que le prestataire avait régularisé plusieurs contrats de prestations de services directement avec le client, la société informatique invoque la violation de la clause de non-concurrence et donc sa nullité.
Pour rappel, une clause de non-concurrence est licite à la condition que :
- elle soit justifiée par les intérêts légitimes de son bénéficiaire, compte tenu de l’objet du contrat,
- elle soit suffisamment limitée dans le temps et dans l’espace,
- elle ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’exercice de la profession du débiteur de l’obligation.
En l’espèce, la Cour d’appel de Versailles juge que la clause respectait bien certaines de ces conditions :
- l’obligation de non-concurrence était limitée dans le temps ;
- il n’y avait certes pas de délimitation géographique de la clause, néanmoins, elle considère que cela n’affectait pas la validité de la clause contrairement à ce que soutenait le prestataire, dès lors que l’activité en cause visait des prestations informatiques à caractère intellectuel. Par ailleurs, elle ajoute que dans la mesure où elle limitait l’obligation de non-concurrence au seul client bénéficiaire de la prestation, la clause ne portait pas une atteinte excessive à la liberté d’exercice de son activité par le prestataire qui restait libre de travailler avec tout autre client ;
- le prestataire invoquait en vain la préexistence de relations commerciales entre lui et le client, qui est sans effet sur l’obligation de non-concurrence à laquelle il avait accepté de se soumettre en signant le contrat ; au demeurant, la preuve de telles relations n’était pas apportée ;
- l’obligation de non-concurrence visait une activité en lien avec l’objet du contrat ; elle ne saurait être circonscrite à la seule création d’applications informatiques, sauf à la rendre inefficace.
Cependant, la Cour d’appel de Versailles annule quand même la clause car elle la juge disproportionnée au regard de l’intérêt légitime de son bénéficiaire compte tenu de la durée du contrat et du montant de la prestation. En effet, elle a tenu compte du fait que si les deux sociétés exerçaient leur activité dans le domaine de la prestation de services informatiques (de sorte qu’il n’était pas contestable que la société avait un intérêt légitime à se protéger contre un risque de détournement de clientèle), la société informatique avait toutefois, astreint son cocontractant à une obligation de non-concurrence disproportionnée par rapport à cet intérêt légitime en lui interdisant toute relation commerciale avec le client pendant une durée de 12 mois, sauf à devoir régler une indemnité équivalente à un an de salaire brut des personnes engagées, alors que la mission confiée se limitait à 3 mois, sans mention d’un possible renouvellement du contrat, et à la somme de 28 350 € HT.
Conseil : la libre concurrence est un principe essentiel en matière commerciale. Les atteintes à celle-ci sont appréciées au cas par cas par les juges du fond qui se livrent à une balance des intérêts en présence pour analyser son caractère disproportionné ou non. C’est pourquoi, il convient d’être vigilant lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence afin de veiller à respecter les limites de sa validité.
Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat spécialiste en droit commercial
Me Clémence LARGERON, avocat en droit commercial