Dans les contrats de cession de droits sociaux, notamment de blocs de majorité, les parties contractantes confondent souvent une obligation à la charge de l’une des parties au bénéfice de l’autre et l’érection d’une condition suspensive qui affecte l’existence même du contrat si elle ne se réalise pas.
C’est sur cette confusion que revient la Cour de cassation dans son arrêt du 19 janvier 2022 (Cas.com. 19 janvier 2022, n°20-14.010).
En l’espèce, une promesse de cession de titres sociaux avait été souscrite sous condition suspensive du remboursement du solde créditeur des comptes courants des associés cédants.
Le promettant n’a finalement pas exécuté la promesse de cession de titres, quand bien même les conditions suspensives aient été réalisées, y compris le remboursement des comptes courants d’associés.
Le bénéficiaire de la promesse a alors assigné en exécution forcée afin de solliciter des juges la reconnaissance de sa qualité d’associé. Pour s’y opposer, le promettant a soulevé une exception de nullité de la cession, au motif que le prix de vente aurait été vil et dérisoire. Le problème, en l’espèce, était que la prescription quinquennale avait été acquise entre temps, rendant irrecevable une action en nullité de la promesse de vente. Toutefois, une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation rend l’exception de nullité recevable, malgré l’expiration du délai de prescription pour agir, à condition toutefois que le contrat n’ait pas reçu de commencement d’exécution. Par conséquent, si le promettant ne pouvait plus agir en nullité de la promesse de cession de parts, il pouvait en revanche opposer, par voie d’exception, cette nullité au bénéficiaire de la promesse, demandeur à l’action, à condition toutefois que ladite promesse n’ait pas reçu de commencement d’exécution.
Or, le bénéficiaire de la promesse avait convaincu la Cour d’appel du fait que la promesse litigieuse avait bel et bien reçu un commencement d’exécution puisque les comptes courants d’associés avaient été remboursés, rendant ainsi irrecevable l’exception de nullité de la promesse de cession, soulevée en cours de procédure.
La Cour de cassation devait donc trancher la question juridique suivante : une condition suspensive (en l’espèce le paiement des comptes courants) peut-elle être assimilée à un commencement d’exécution d’un contrat ?
Contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation estime « qu’une condition suspensive fait dépendre l’obligation souscrite d’un évènement futur et incertain, mais ne constitue pas l’objet de l’obligation, de sorte que la réalisation de la condition ne constitue pas l’exécution, même partielle, de cette obligation et ne peut, par suite, faire échec au caractère perpétuel d’une exception de nullité ».
On ne peut qu’approuver le rappel effectué par la Cour de cassation de la distinction entre une obligation et une condition suspensive.
Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser que les parties contractantes, ou le rédacteur de l’acte, a commis le premier une confusion bien embarrassante. En effet, il était bien maladroit d’ériger en condition suspensive le remboursement des soldes créditeurs des comptes courants des associés promettants, dans la mesure où il ne s’agit pas dans l’esprit des parties d’un évènement aléatoire, mais d’une obligation consécutive et connexe à la cession des parts. La maladresse d’origine consiste donc à avoir confondu les notions d’obligation et de condition suspensive. Une partie du contentieux aurait été évité par une rédaction convenable de la promesse de vente de cession de titres dans laquelle le remboursement des comptes courants d’associés n’aurait jamais dû être érigé en condition suspensive, mais en obligation, dans la mesure où elle ne dépend pas d’un aléa extérieur, mais de la seule volonté de l’une des parties au contrat.
Du point de vue de la technique juridique, deux solutions sont possibles :
– ou bien une cession de la créance inscrite en compte courant du promettant au profit du bénéficiaire de la promesse, moyennant le versement d’un prix correspondant au nominal ;
– ou bien une intervention à l’acte de la société débitrice du compte courant qui prend l’engagement de le rembourser selon un échéancier convenu dans l’acte.
Ainsi, une qualification adéquate, écartant la confusion entre obligation et condition suspensive, aurait permis de retranscrire plus clairement la volonté des parties.
Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat spécialiste en droit commercial