Par deux arrêts du 07 juin 2023, la Cour de cassation vient préciser le régime juridique applicable aux déplacements professionnels, lequel avait notamment été fixé par un arrêt du 23 novembre 2022 ayant fait l’objet d’une publication au Bulletin et au Rapport de la Cour de cassation (Cass. Soc. 23/11/2022 n° 20-21924).

Dans la première espèce, le salarié occupait les fonctions d’enquêteur mystère dans le secteur de l’automobile et était amené à réaliser des déplacements de plusieurs jours. La question portait sur la qualification du trajet effectué par ce salarié entre l’hôtel et la concession qu’il devait visiter, étant précisé que le salarié visitait une seule concession par jour.

La Cour d’appel a considéré que – dès lors que ces trajets étaient réalisés dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile – il s’agissait nécessairement de trajets entre deux lieux de travail successifs et donc du temps de travail effectif ouvrant droit à rémunération avec application, le cas échéant, des majorations pour heures supplémentaires.

Cette décision est cassée par la Cour de cassation qui reproche au juge d’appel de ne pas avoir vérifié « si les temps de trajet effectués par le salarié pour se rendre à l’hôtel pour y dormir, et en repartir, constituait, non pas des temps de trajet entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, ni caractériser que, pendant ses temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajet pour se rendre à l’hôtel afin d’y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer librement à ses obligations personnelles ».

Ce faisant, la Cour de cassation semble considérer que, dans le cadre de déplacements professionnels, les trajets effectués par un salarié entre l’hôtel et son lieu de travail ne constituent pas – en principe -des déplacements professionnels assimilés à du temps de travail effectif, sauf pour le salarié à démontrer qu’il ne peut pas, pendant ce temps de trajet, vaquer librement à ses obligations personnelles dès lors qu’il est soumis aux directives de l’employeur.

Dans la deuxième espèce, se posait la question de la qualification du trajet réalisé par un salarié entre son arrivée sur le site de l’entreprise et l’accès aux locaux de travail où se trouvait le système de pointage.

Le salarié travaillant au sein d’un site nucléaire réalisait un temps de déplacement de 15 minutes entre son entrée dans l’enceinte de l’entreprise et l’accès aux locaux de travail, trajet durant lequel il était tenu de pointer au poste d’accès principal, de se soumettre à des contrôles, de respecter les consignes de sécurité en présence de brigades d’intervention et de respecter un protocole long et minutieux de sécurité pour arriver à son poste de travail ainsi que chacune des consignes du règlement intérieur, sous peine de sanctions disciplinaires.

La Cour d’appel avait considéré que ce temps de trajet ne constituait pas un temps de travail effectif dans la mesure où, si le salarié était contraint de respecter le règlement intérieur, celui-ci avait été mis en place non par l’employeur mais par le propriétaire du site, et que le système de pointage se trouvait dans les bureaux et non à l’entrée de l’entreprise.

Cette décision est cassée par la Cour de cassation qui considère que, se faisant, la Cour d’appel a statué sur des « moyens inopérants ». La Cour d’appel aurait dû rechercher si du fait des sujétions qui lui étaient imposées, le salarié était à la disposition de l’employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles, auquel cas ce temps de trajet devait être qualifié de temps de travail effectif.

Ces deux décisions démontrent, une fois de plus, que la qualification des temps de trajet professionnel ne peut être réalisée qu’au cas par cas au regard de la définition du temps de travail effectif qui implique que le salarié soit tenu de se conformer aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles (article L.3121-1 du Code du travail). Ainsi, si le temps de déplacement entre son domicile ou un hôtel et le lieu de travail du salarié ne constitue pas – en principe – un temps de travail effectif, il peut relever de cette qualification si le salarié démontre que durant cette période il est tenu de se conformer aux directives de l’employeur (par exemple en devant rester disponible pour recevoir ou émettre des appels téléphoniques, ou en étant soumis à des sujétions importantes liées notamment à un protocole de sécurité), de sorte qu’il ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles.

Me Sophie WATTEL
Avocat spécialiste en droit du travail