Par une décision en date du 20 novembre 2019 (Cass. Com., 20 novembre 2019, n°18-12.823), la Cour de cassation s’est prononcée sur la preuve du déséquilibre significatif.
A titre de rappel, l’article L442-6, I, 2° du Code de commerce (nouvel article L442-1 du même Code) sanctionne la soumission ou la tentative de soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. En vertu de l’ancien article L442-6, III du Code de commerce, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Ainsi, il faut d’abord prouver l’existence d’un déséquilibre significatif c’est-à-dire la soumission ou la tentative de soumission et ensuite démontrer qu’il y a un rééquilibrage s’agissant de l’économie générale du contrat opéré par une réelle négociation.
En l’espèce, le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi a assigné plusieurs sociétés sur le fondement de l’article L442-6, I, 2° du Code de commerce (nouvel article L442-1 du même Code) en vue de la cessation de pratiques constitutives d’un déséquilibre significatif au détriment de leur fournisseur, lesquelles seraient issues des conventions liant les deux cocontractants.
Les juges du fonds ont rejeté la demande du Ministre aux motifs qu’il ne rapportait pas la preuve du déséquilibre significatif. Contestant cette décision, le Ministre forma un pourvoi en cassation en reprochant aux juges d’avoir inversé la charge de la preuve puisqu’il démontre que la soumission ou de la tentative de soumission résultait d’une forte asymétrie dans le rapport de force existant entre le Distributeur et le Fournisseur sur un marché structurellement déséquilibré et également de l’existence de clauses opérant un déséquilibre significatif entre les parties. Ainsi il revenait au Distributeur de démontrer que les clauses avaient pu être réellement négociées par le Fournisseur.
La question était donc de savoir sur qui pèse la charge de la preuve, et plus précisément, si la preuve du déséquilibre significatif a été rapportée.
Dans sa décision, la Cour de cassation considère que :
- la charge de la preuve du déséquilibre significatif incombe au Ministre ;
- la preuve du déséquilibre significatif n’est pas rapportée car d’une part, la démonstration par le Ministre d’un rapport de force inégal ainsi que l’existence de clauses défavorables pour les Fournisseurs étaient insuffisants et, d’autre part, il devait démontrer que les clauses n’avaient pas pu faire l’objet de négociation par les Fournisseurs. La Cour reconnait que si la soumission ou la tentative de soumission implique de démontrer l’absence de négociation effective des clauses incriminées, la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice mais ne peut suffire à démontrer l’existence d’un rapport de force déséquilibrée, se prêtant difficilement à des négociations véritables. Cet élément doit être complété par d’autres indices établissant l’absence de négociation véritable. Dans ses motifs, la Cour de cassation explique que le Ministre se contente de rapporter l’existence les clauses litigieuses inclues dans des conventions pré-rédigées mais qu’il ne prouve pas les circonstances de fait dans lesquelles les contrats ont été conclus excluant toute négociation et qu’en l’espèce, certains Fournisseurs avaient pu négocier certaines clauses.
Ce faisant, la Cour de cassation applique strictement les règles en matière de système probatoire. Dans la mesure où le ministre ne rapporte pas la preuve du déséquilibre significatif, le Distributeur n’a pas à rapporter la preuve de réelles négociations, pour contrebalancé l’existence d’un déséquilibre significatif puisqu’il n’a pas été prouvé.
C’est pourquoi, il est important de se pré-constituer la preuve des négociations dans le cadre de la conclusion des contrats. Cela peut passer par la rédaction de dispositions particulières dans le contrat mais aussi par les échanges intervenus entre les Parties dans le cadre du processus de formation du contrat.
Me Jean-Pascal CHAZAL, avocat spécialiste en droit commercial
et Clémence LARGERON, rédactrice & documentaliste