Il résultait d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la rente majorée accordée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle à la suite de la reconnaissance de la faute inexcusable[1] de l’employeur, réparait :

  • D’une part, la perte de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité ;
  • D’autre part, le déficit fonctionnel permanent pouvant être défini comme le préjudice personnel subi par la victime, c’est-à-dire les souffrances physiques et morales endurées après consolidation dans le déroulement de sa vie quotidienne (extrait du communiqué de la Cour de cassation concernant les deux arrêts du 20/01/2023, n° 21-23.947 et n° 20-23.673). A noter que le déficit fonctionnel permanent constitue l’un des chefs de préjudice prévus par la nomenclature Dintilhac, barème de référence dans l’indemnisation des victimes de dommages corporels.

Ainsi, les victimes ne pouvaient obtenir réparation des souffrances physiques et morales endurées qu’à la condition de prouver que celles-ci n’avaient pas été indemnisées par la rente accordée.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023 publiés à la fois au Bulletin et au Rapport annuel de la Cour de cassation et ayant donc vocation à acter le revirement de jurisprudence intervenu et à fixer sa jurisprudence, la Haute juridiction précise que « la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ». Les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle résultant de la faute inexcusable de l’employeur pourront désormais obtenir, outre la majoration de la rente, l’indemnisation du préjudice résultant du handicap dont elles souffrent dans le déroulement de leur vie quotidienne (outre les préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle dont l’indemnisation est d’ores et déjà admises, en plus de la majoration de la rente).

La Cour de cassation prend le soin, dans son arrêt, d’expliquer les raisons de ce revirement :

  • Si la jurisprudence antérieure visait à éviter les situations de double indemnisation du préjudice, force est de constater – comme a pu le souligner une partie de la doctrine – que la réparation du déficit fonctionnel permanent se concilie difficilement avec le caractère forfaitaire de la rente calculée en appliquant au salaire de référence le taux d’incapacité permanent constaté. En effet, si ce mode de calcul parait adapté pour indemniser la perte de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, il parait impropre à indemniser le handicap subi par la victime dans le déroulement de sa vie quotidienne et notamment les souffrances physiques et morales subies dans ce cadre.
  • La jurisprudence antérieure faisait peser sur les victimes la charge de la preuve d’un préjudice lié au déficit fonctionnel permanent non indemnisé par la majoration de la rente, preuve qui s’avérait particulièrement difficile à rapporter.
  • Le Conseil d’état avait adopté, de manière constante, une jurisprudence contraire à celle de la Cour de cassation considérant que la majoration de la rente a pour objet exclusif de réparer les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, à l’exclusion du déficit fonctionnel permanent.

Du fait de ce revirement de jurisprudence, l’indemnisation des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle consécutif à une faute inexcusable de l’employeur sera majorée, et, par voie de conséquence, le coût supporté par l’employeur augmenté. Cette décision conduit donc à rappeler l’impérieuse nécessité, pour les employeurs, de veiller au respect des règles de sécurité au sein de l’entreprise. Il leur appartient notamment de mettre en place une politique de prévention et d’en conserver la preuve dans la mesure où cela pourra leur permettre, le cas échéant, d’échapper à la reconnaissance d’une faute inexcusable et donc à l’indemnisation intégrale du préjudice subi par la victime. Il est, par ailleurs, vivement conseillé de veiller à ce que les conséquences de la faute inexcusable soient couvertes par la police d’assurance responsabilité civile de l’entreprise.

[1] Faute commise par l’employeur qui, alors qu’il avait conscience du danger auquel était exposé un salarié, n’a pas pris les mesures pour l’en préserver.

Sophie WATTEL
Avocat spécialiste en droit du travail