Dans un arrêt du 10 janvier 2024, la Cour de cassation fait preuve (une fois encore) de sévérité quant à l’appréciation de l’obligation de suivi de la charge de travail du salarié pesant sur l’employeur, dans le contexte particulier du régime supplétif prévu par l’article L.3121-65 du Code du travail (Cass. soc. 10 janvier 2024, n° 22-15782, publié au bulletin et au rapport).

Il convient de rappeler que, pour être valable, une convention individuelle de forfait en jours sur l’année doit être instituée sur le fondement d’un accord collectif. Ce dernier doit impérativement déterminer un certain nombre d’éléments listés par l’article L.3121-64 du Code de travail dont les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié. L’article L.3121-65 introduit cependant un régime supplétif lorsque l’accord collectif ne prévoit pas un tel suivi. L’employeur qui entend faire application de ce régime supplétif doit :

– établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

– s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

– organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

C’est justement concernant l’application de ce régime supplétif que l’arrêt du 10 janvier 2024 a été rendu. En l’espèce, l’accord collectif permettant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours sur l’année ne prévoyait pas l’intégralité des mentions obligatoires prévues par l’article L3121-64 du Code du travail s’agissant du suivi de la charge de travail du salarié. Les juges ont donc dû vérifier si l’employeur avait respecté les prescriptions supplétives de l’article L.3121-65 du même Code. Or, les juges ont constaté que :

– les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié – peu important qu’ils aient pu être renseignés par l’intéressé dès lors que ceux-ci doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur, de sorte que ce dernier n’avait pas été en mesure de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire ;

– l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.

Dans ces conditions, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré que la convention de forfait en jours sur l’année était nulle.

Dans un tel cas, le salarié est notamment fondé à solliciter la condamnation de son employeur à lui payer l’intégralité des heures supplémentaires qu’il a effectuées, soit l’ensemble des heures de travail effectuées au-delà de 35 heures hebdomadaires avec application des majorations afférentes. Les salariés sollicitent également souvent l’allocation de dommages et intérêts fondés sur le non-respect des temps de repos minimum, une violation de l’obligation de sécurité ou encore une exécution déloyale du contrat.

Dans un arrêt du même jour (Cass. soc. 10 janvier 2024, n° 22-13200 publié au bulletin), la chambre sociale de la Cour cassation a cassé un arrêt de Cour d’appel ayant débouté un salarié tendant à voire sa convention de forfait en jours déclarée nulle alors que le repos hebdomadaire n’avait pas été respecté à plusieurs reprises et que le forfait annuel avait été dépassé en 2016, 2017 et 2018. Pour la haute juridiction, il en résultait que l’employeur s’était abstenu de mettre en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail incompatible avec une durée raisonnable de travail dont il avait été informé et qu’il avait donc manqué à ses obligations légales et conventionnelles.

Conseil : si la convention de forfait en jours sur l’année est indéniablement un outil d’optimisation de la durée du travail, il convient de le manier avec beaucoup de précaution. Non seulement, il convient d’apporter une grande attention à la validité de l’accord collectif devant lui servir de fondement et à la formalisation de la convention de forfait en jours sur l’année, mais il convient également d’être très précautionneux quant aux modalités d’application de la convention de forfait (document de suivi, contrôle de la charge de travail, entretien annuel, etc.). Le cabinet est disponible pour vous accompagner à chacune de ces étapes.

Sophie WATTEL, avocat spécialiste en droit du travail