Lorsque les capitaux propres d’une société deviennent inférieurs à la moitié du capital social à la suite de pertes, la collectivité des associés doit décider de l’avenir de la société dans les quatre mois suivant la clôture de l’exercice social constatant ces pertes. Pour cela, les associés doivent choisir entre la dissolution anticipée de la société ou la régularisation de la situation. Pour que les capitaux propres soient régularisés, la société a un délai de deux ans suivant la clôture de l’exercice précité afin que les capitaux propres soient reconstitués à hauteur de la moitié du capital social.

Si les associés choisissent de régulariser la situation et qu’au terme des deux ans les capitaux propres n’ont pas été reconstitués alors la société doit réduire son capital d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pas pu être imputées sur les réserves. Si les pertes sont égales ou supérieures aux capitaux propres alors le capital doit être réduit à zéro. Les titres représentatifs du capital sont corrélativement annulés.

Du point de vue fiscal, en application de l’article 150-0 D, 12 du CGI, les pertes constatées lors de l’annulation de titres sont imputables sur les plus-values de même nature réalisées la même année ou les dix années suivantes seulement lorsque la société a fait l’objet d’une procédure collective.

C’est sur ce traitement particulier que s’est prononcé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 22 novembre 2019. Il a reconnu que la limitation de l’imputation de la perte subie lors de l’annulation des titres aux seules société en procédure collective est contraire à l’article 14 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales et son premier protocole additionnel.

En l’espèce, un contribuable avait ajouté au prix d’acquisition des titres d’une SA qu’il avait cédés, les sommes acquittées pour l’acquisition de titres annulés. A l’appui de sa position, il soulevait la nullité des paragraphes 5 et 6 de la fiche n°5 de l’instruction administrative 5 C-1-01 du 3 juillet 2001 par laquelle l’administration faisait connaître son interprétation des dispositions du 12 de l’article 150-0 D du CGI précité exprimant clairement que la perte constatée ouvre droit à l’imputation que « si l’annulation des titres intervient  dans le cadre d’une procédure collective » ; étant « par conséquent exclues de ce dispositif, les annulations de titres volontaires quels qu’en soient le motif ».

Le Conseil d’Etat a jugé que les associés qui sont tenus de procéder à l’annulation de titres pour réduire le capital social d’un montant au moins égal à celui des pertes n’ayant pas pu être imputées sur ses réserves et le report à nouveau, ne sont pas, au regard de la loi fiscale, dans une situation suffisamment différente de celle des contribuables dont les titres sont annulés dans le cadre d’une procédure collective. Cette différence de traitement de situations similaires méconnait le principe de non-discrimination stipulé par l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que la protection de la propriété stipulée par l’article 1er du premier protocole additionnel de cette même convention.

L’instruction administrative 5 C-1-01 réitérant des dispositions législatives méconnaissant ces stipulations doit ainsi être annulée.

Conseil : les associés de sociétés qui ont dû annuler leurs titres suite à une réduction de capital motivée par des pertes peuvent effectuer une réclamation contentieuse au service des impôts dont ils dépendent pour bénéficier de l’imputation de cette perte sur les plus-values de même nature qu’ils ont pu constater au cours de la même année, ou les dix années suivantes. Pour les pertes subies depuis des exercices clos le 31 décembre 2015, ces derniers doivent agir avant le 31 décembre 2019.

CE 22/11/2019 n°431867

Me Marlène ALONSO, avocat spécialiste en droit fiscal

Me Alexandra GASC-MIZIAN, avocat

Catherine SILVAN, stagiaire