Au mois de mars 2021, la Cour de Cassation a rendu pas moins de trois décisions publiées au Bulletin – et donc d’une importance particulière – concernant l’inaptitude.
Rappelons que l’inaptitude d’un salarié peut être constatée par le médecin du travail (et lui uniquement, à l’exclusion notamment des médecins traitants) lorsque l’état de santé (physique ou mental) du salarié est devenu incompatible avec le poste qu’il occupe.
Avant de prendre cette décision, le médecin du travail doit réaliser au moins un examen médical et procéder ou faire procéder à une étude de son poste de travail. C’est uniquement s’il constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible alors que l’état de santé justifie un changement de poste, que le médecin du travail peut le déclarer inapte à son poste de travail.
L’avis d’inaptitude ne justifie en aucun cas le licenciement. Il oblige l’employeur à rechercher à reclasser le salarié, sauf mention particulière portée par le médecin du travail sur l’avis d’inaptitude constatant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Ce n’est que lorsque l’employeur est en mesure de prouver l’impossibilité de proposer au salarié un emploi compatible avec son état de santé ou le refus par le salarié de l’emploi proposé, que l’employeur peut procéder à son licenciement en raison de son impossibilité de procéder à son reclassement à la suite de l’inaptitude constatée par le médecin du travail.
Dans ses décisions de mars 2021, la Cour de cassation apporte trois précisions :
- Alors que l’article L. 1226-12 du Code du travail prévoit que « lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaitre par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement», la Cour de Cassation considère que lorsqu’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail refuse un autre poste approprié à ses capacités qui lui est proposé par l’employeur, ce dernier n’a pas à lui notifier, par écrit, les motifs s’opposant à son reclassement avant d’engager la procédure de licenciement (Cass. Soc. 24/03/2021 n° 19-21263, à paraitre au Bulletin). La Cour de Cassation fait ici une application stricte de l’article L. 1226-12 du Code du travail précité qui prévoit l’obligation pour l’employeur d’informer le salarié des motifs s’opposant à son reclassement lorsqu’il est « dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié », ce qui n’est pas le cas lorsqu’il lui a proposé une offre de reclassement que le salarié a refusé.
Il convient toutefois de noter que la Cour de Cassation circonscrit ce cas à l’hypothèse dans laquelle l’employeur a proposé au salarié un emploi de reclassement « dans les conditions prévues par l’article L. 1226-10 du Code du travail ». Ce renvoi vise un emploi approprié aux capacités du salarié, conforme aux conclusions écrites du médecin du travail et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé par le salarié. En l’espèce l’employeur avait pris le soin de faire valider la proposition de reclassement par le médecin du travail avant de la proposer au salarié, ce qui lui a ainsi permis de s’assurer de la conformité de la proposition de reclassement avec l’état de santé du salarié et les préconisations du médecin du travail.
Il convient, par ailleurs, de ne pas confondre la dispense pour l’employeur d’avoir à informer le salarié des raisons s’opposant à son reclassement, de l’obligation pesant sur l’employeur d’épuiser toutes les possibilités de reclassement. Si d’autres postes peuvent être proposés au salarié au titre de son reclassement, ils devront être soumis au salarié, faute de quoi le licenciement pourrait être jugé sans cause réelle et sérieuse.
- Les mesures d’aménagement préconisées par le médecin du travail entrainant une modification du contrat de travail n’impliquent pas, du seul fait de cette modification, la formulation d’un avis d’inaptitude (Cass. Soc. 24/03/2021 n °19-16558, à paraitre au Bulletin).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle la nécessité de ne pas confondre avis d’inaptitude et avis d’aptitude avec réserves. Ce n’est pas parce que l’avis d’aptitude est assorti de réserves impliquant une modification du contrat de travail (en l’espèce, passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour) que l’employeur peut considérer que cet avis constitue un avis d’inaptitude. Si l’employeur n’est pas d’accord avec l’avis émis, il lui appartient de le contester selon la procédure prévue par le Code du travail, mais il ne peut en aucun cas procéder à un licenciement fondé sur l’avis d’aptitude avec réserves.
- Le recours contre l’avis d’inaptitude formé par l’employeur devant le Conseil de prud’hommes doit porter sur l’avis du médecin du travail (avis de la Cour de Cassation du 17/03/2021 n° 21-70002, à paraitre au Bulletin).
La question ayant donné lieu audit avis était la suivante : le Conseil des prud’hommes statuant selon la procédure prévue à l’article L. 4624-7 du Code du travail dans sa dernière rédaction, est-il compétent pour connaitre de l’irrespect, par le médecin du travail, des procédures et diligences prescrites par la loi et le règlement, notamment celles issues des articles L. 4624-4 et R. 4624-42 du même Code ?
Les textes visés font référence à l’obligation pour le médecin du travail, avant de rendre un avis d’inaptitude, d’effectuer une étude de poste, de réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement, d’échanger avec l’employeur et le salarié, de pratiquer un second examen dans le délai maximal de quinze jours s’il l’estime nécessaire, ou encore d’assortir son avis de conclusions écrites et d’indications sur le reclassement du salarié.
La Cour de Cassation considère que le non-respect par le médecin du travail des règles de procédure susvisées ne peut à lui seul justifier un recours à l’encontre de l’avis rendu devant le Conseil des prud’hommes.
La Cour de Cassation précise, dans son avis, que le Conseil des prud’hommes saisi d’une contestation portant sur l’avis du médecin du travail « peut, dans ce cadre, examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s’est fondé pour rendre son avis ». L’absence de respect de la procédure pourra donc être pris en compte à ce titre, mais encore faut-il que la contestation porte bien sur l’avis du médecin et non sur la procédure suivie qui ne peut, à elle seule, justifier que le Conseil des prud’hommes rende un nouvel avis se substituant à la décision du médecin du travail, ou que l’avis initial soit déclaré inopposable pour non-respect de la procédure.
Sophie WATTEL
Avocat spécialiste en droit du travail