Par deux arrêts du 08 février 2023, dont l’un publié au Bulletin, la Cour de cassation vient préciser le périmètre de l’obligation de reclassement en cas de dispense mentionnée dans l’avis d’inaptitude par le médecin du travail.

Dans le premier arrêt (Cass. Soc. 08/02/2023 n° 21-19232 publié au Bulletin), la salariée avait été déclarée inapte par le médecin du travail, l’avis d’inaptitude mentionnant expressément « l’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». L’employeur avait alors procédé à son licenciement en raison l’impossibilité de procéder à son reclassement à la suite de son inaptitude, sans effectuer aucune recherche de reclassement.

La salariée a saisi la juridiction prud’hommale en faisant valoir que, son employeur faisant partie d’un groupe, celui-ci avait manqué à son obligation de recherche de reclassement en la licenciant sans procéder aux recherches de reclassement au sein du groupe. En effet, lorsque l’entreprise fait partie d’un groupe, l’employeur est tenu de rechercher les postes de reclassement non seulement au sein de l’entreprise concernée, mais également au sein de chaque structure faisant partie du groupe auquel elle appartient et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel (articles art. L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail).

Ainsi, la question était de savoir si la mention par le médecin du travail de la dispense selon laquelle « l’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » dispense uniquement l’employeur de rechercher des postes de reclassement au sein de l’entreprise concernée – auquel cas celui-ci reste tenu de rechercher des postes de reclassement à l’échelle du groupe – ou si, au contraire, la dispense s’étend à l’ensemble des structures composant le groupe auquel la société employeur appartient.

Il convient de noter que cette précision était attendue depuis les modifications successives des articles L.1226-2-1 et L.1226-12 du Code du travail intervenues en 2015 et 2016 et ayant instauré les dispenses de reclassement.

Dans cette affaire, la Cour d’appel a considéré que la dispense mentionnée par le médecin du travail sur l’avis d’inaptitude et visant tout reclassement dans l’emploi s’étendait non seulement à l’entreprise concernée, mais également aux autres structures faisant partie du groupe auquel elle appartient.

La salariée a donc formé un pourvoi en cassation dans le cadre duquel elle reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir considéré que l’employeur avait respecté son obligation de recherche de reclassement alors que, lorsque le médecin du travail mentionne une dispense de reclassèrent dans l’avis d’inaptitude, cela ne dispense pas l’employeur de son obligation de rechercher le reclassement du salarié au sein des entreprises du groupe auquel l’employeur appartient.

Après avoir rappelé qu’en application de l’article L.1226-12 du Code du travail, l’employeur peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, la Cour de cassation considère que l’avis d’inaptitude mentionnant expressément que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, « la Cour d’appel en a exactement déduit que l’employeur était dispensé de rechercher et de proposer à la salariée des postes de reclassement ».

Si l’on peut regretter que la Cour de cassation ne se saisisse pas de cette affaire pour fixer expressément la règle selon laquelle la dispense visant l’état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans l’emploi s’applique non seulement à la société employeur mais également à l’ensemble des structures faisant partie du groupe auquel elle appartient, force est de constater qu’en ne reprenant pas l’argument de la salariée, la Cour de cassation considère implicitement que la dispense s’applique non seulement à la structure employeur mais également à l’ensemble des structures du groupe auquel elle appartient, et donne une grande portée aux dispenses de reclassement telles que prévues par le Code du travail et aujourd’hui reprises par les avis règlementaires d’inaptitude.

Il convient toutefois de noter que par un arrêt du même jour (Cass. Soc. 08/02/2023 n° 21-11356), la Cour de cassation vient apporter une limite à cette règle lorsque le médecin du travail a ajouté une mention contraire ou, à tout le moins, différente sur l’avis d’inaptitude. Dans cette affaire, la salariée avait fait l’objet d’un avis d’inaptitude sur lequel le médecin du travail avait porté la mention « l’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise ». Or, la structure employeur faisant partie d’un groupe, la salariée reprochait à son employeur de ne pas avoir effectué de recherches de reclassement à l’échelle du groupe. Dans cette affaire, la Cour de cassation va faire sienne l’argumentation de la salariée en considérant que la mention du médecin du travail par laquelle il avait considéré que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement « dans cette entreprise », ne dispensait pas l’employeur de son obligation de rechercher un reclassement au sein de l’autre structure composant le groupe considéré.

Ainsi, il convient d’être particulièrement vigilant quant à la rédaction des cas de dispense dans les avis d’inaptitude. Si le médecin du travail s’en tient aux cas de dispense tels que prévus par le Code du travail (tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ; l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi), le premier arrêt visé permet de considérer que l’employeur est dispensé de son obligation de reclassement à l’échelle du groupe de sociétés.

A l’inverse, si le médecin du travail mentionne un cas de dispense différent, il convient de s’interroger sur la portée de la formulation choisie quant au périmètre de l’obligation de recherche de reclassement.

Sophie WATTEL
Avocat spécialiste en droit du travail