Par un arrêt publié au bulletin du 6 mars 2024 (Cass. Soc. n° 22-11016 FSB), la Cour de cassation rappelle « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330, publié) ».
En l’espèce, la CPAM a découvert que l’une de ses salariés avait adressé des mails racistes et xénophobes à des collègues avec la messagerie électronique professionnelle, et ce, grâce à l’envoi, par erreur, de ces mails à un mauvais destinataire.
La salariée a alors été licenciée pour faute grave pour avoir utilisé la boîte mail professionnelle pour envoyer des courriels au contenu illicite car incitatif à la discrimination et à la haine raciale et avoir ainsi porté préjudice à l’image de l’entreprise.
La CPAM faisait notamment valoir qu’un tel comportement enfreignait l’obligation de neutralité à laquelle sont tenus les salariés d’un organisme de sécurité sociale et au règlement intérieur de la caisse qui interdit :
-l’usage à titre privé des outils professionnels, y compris informatiques, sauf autorisation ;
-les propos racistes ou discriminatoires ainsi que la provocation à la discrimination et à la haine raciale.
Cependant, la Cour de cassation relève que :
– les messages litigieux étaient intervenus dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics et avaient été connus par l’employeur à la suite d’une erreur de destinataire ;
– la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues ;
– l’employeur n’a pas prouvé que les écrits de la salariée étaient connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la CPAM, à savoir auprès des usagers, et que son image était atteinte. Il ne pouvait donc pas avancer que la salariée avait violé le principe de neutralité ;
– si le règlement intérieur interdit une utilisation personnelle des outils professionnels sauf autorisation, un salarié peut utiliser la messagerie professionnelle pour envoyer des mails privés dès lors qu’il n’en abuse pas. Or, ils ont jugé que l’envoi de neuf messages privés en l’espace de 11 mois n’était pas excessif, indépendamment de leur contenu.
En conséquence, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir décidé que l’employeur ne pouvait pas se fonder sur le contenu des mails litigieux, qui relevait de la vie personnelle, pour procéder au licenciement disciplinaire de la salariée. La condamnation de l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est donc confirmée.
Cette solution n’a rien d’évidente dans la mesure où :
– d’une part, les mails contenus dans la messagerie professionnelle d’un salarié sont réputés de nature professionnelle, sauf mention contraire, de sorte que l’employeur peut en prendre connaissance et le cas échéant les utiliser comme moyen de preuve d’un manquement de nature professionnelle ;
– d’autre part, le règlement intérieur de la caisse interdisait expressément les propos racistes ou discriminatoires ainsi que la provocation à la discrimination et à la haine raciale ce qui aurait pu permettre de caractériser un manquement à une obligation découlant du contrat de travail.
Conseil : avant d’envisager un licenciement pour motif disciplinaire, il est indispensable de s’interroger sur le caractère éventuellement privé du manquement reproché, la distinction entre fait tiré de la vie professionnelle et fait tiré de la vie personnelle étant rendue encore plus difficile par la mise à disposition de moyens de communication professionnels pouvant servir à l’envoi de correspondances privées.
Si les faits relèvent de la vie personnelle, un licenciement pour motif personnel ne pourra pas être envisagé sauf à pouvoir caractériser un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (exemple : la communication d’informations constituant une violation de son obligation de confidentialité).
Si tel n’est pas le cas, seul restera envisageable un licenciement non disciplinaire fondé sur le trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise créé par le fait relevant de la vie privée du salarié.
Me Sophie WATTEL, avocat spécialiste en droit du travail