La loi « Partage de la valeur » du 29 novembre 2023 nécessitait, pour la mise en œuvre de certaines de ses dispositions, des décrets d’application. Ceux-ci ont été publiés les 30 juin et 05 juillet derniers (décret n° 2024-648 du 30/06/2024 et décret n° 2024-690 du 05/07/2024 n° 2024-690).
Les apports essentiels de ces décrets sont les suivants :
- Prime de partage de la valeur – régime renforcé d’exonération: la loi « Partage de la valeur » a prévu le maintien du régime d’exonération renforcé pour les entreprises de moins de 50 salariés et ce jusqu’au 31 décembre 2026 (exonération de cotisations sociales, de CSG/CRDS et d’impôt sur le revenu dans la limite de 3.000 € pouvant être portée à 6.000 € par bénéficiaire notamment si un accord d’intéressement a été mis en place). Le décret du 05 juillet 2024 précise que le seuil d’effectif de moins de 50 salariés est déterminé en application des règles d’effectif « sécurité sociale ». Ainsi et conformément à l’article L.130-1 du Code de la sécurité sociale, il s’agit de l’effectif salarié annuel de l’employeur correspondant à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente.
En revanche, le décret exclut expressément l’application du moratoire de 5 ans en cas de franchissement à la hausse du seuil d’effectif. L’entreprise de moins de 50 salariés franchit le seuil de 50 salariés se trouvera donc immédiatement privée du régime d’exonération renforcé.
- Prime de partage de la valeur – modalités d’affectation à un plan d’épargne: les salariés des entreprises de 50 salariés et plus qui ne bénéficient pas du régime renforcé d’exonération peuvent, en application de la loi du 29 novembre 2023, affecter leurs primes de partage de la valeur sur un plan d’épargne salariale et ainsi bénéficier du régime social afférent. Le décret du 29 juin 2024 précise les modalités d’application de cette nouvelle disposition. L’employeur doit remettre au salarié, pour chaque somme versée au titre de la prime de partage de la valeur, une fiche distincte du bulletin de paie mentionnant :
- Le montant de la prime attribuée ;
- La retenue opérée au titre de la CSG/CRDS ;
- La possibilité d’affectation sur un plan d’épargne ;
- Le délai de la demande d’affectation de 15 jours maximum ;
- Lorsque la prime de partage de la valeur est affectée à un plan d’épargne, le délai à partir duquel les droits seront négociables ou exigibles et les cas de déblocages anticipés.
- Partage obligatoire de la valeur dans les entreprises d’au moins 11 salariés réalisant un bénéfice net fiscal au moins égal à 1% du chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs et qui ne sont pas tenus de mettre en place la participation : le seuil d’effectif se calcule également suivant les règles d’effectif « sécurité sociale » avec exclusion du moratoire de 5 ans en cas de franchissement à la hausse du seuil d’effectif.
- Nouveau cas de déblocage anticipé de la participation et du PEE:
- Dépenses affectées à la rénovation énergétique des résidences principales listées aux articles D.319-16 et D.319-17 du Code de la construction et de l’habitation (travaux d’isolation thermique des toitures ; des murs donnant sur l’extérieur ; des parois vitrées et portes donnant sur l’extérieur ; travaux d’installation, de régulation de remplacement de système de chauffage ; travaux d’installation d’équipement de chauffage utilisant une source d’énergie renouvelable ; travaux d’installation d’équipement de production d’eau chaude sanitaire utilisant une source d’énergie renouvelable ; travaux d’isolation des planchers bas ; etc.).
- L’activité de proche aidant exercée par l’intéressé, son conjoint ou partenaire pacsé ;
- L’acquisition d’un véhicule dit propre, c’est-à-dire remplissant l’une des deux conditions suivantes :
- Soit il utilise l’électricité, l’hydrogène ou une combinaison des deux comme source exclusive d’énergie s’il s’agit d’un véhicule conçu pour le transport de personnes et comportant 8 places assises au maximum, d’une camionnette ou d’un véhicule à moteur à deux ou trois roues et quadricycle à moteur,
- Soit il s’agit d’un cycle à pédalage assisté, neuf.
- Augmentation du plafond des abondements de l’employeur au PEE en vue de l’acquisition d’actions de l’entreprise : le plafond antérieurement fixé à 8% du plafond annuel de sécurité sociale (PASS) est porté à 16% étant toutefois rappelé qu’il est limité au triple des versements volontaires réalisés par le salarié.
- Avance sur intéressement ou participation: le décret du 30 juin précise les modalités d’information des salariés et de recueil de leur accord avant le versement d’avances sur l’intéressement ou la participation. En l’absence de stipulations dans l’accord, le salarié dispose de 15 jours à compter de la réception de la lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé l’informant de cette possibilité pour donner son accord au versement d’avances. A défaut d’accord exprès du salarié, aucune avance ne peut être versée. La somme attribuée au bénéficiaire au titre de l’avance devra par ailleurs faire l’objet d’une fiche d’information distincte du bulletin de salaire qui pourra lui être communiquée par voie électronique sauf opposition du salarié. Ladite fiche d’information devra contenir différentes mentions obligatoires (montant des droits attribués au titre de l’avance, retenues opérées au titre de la CSG/CRDS, obligation et modalités de reversement par le bénéficiaire en cas de trop-perçu, etc.). Par ailleurs, les fiches d’information remises aux bénéficiaires lors du versement de l’intéressement devront être complétées pour mentionner les avances versées le cas échéant.
L’accord d’intéressement ou de participation doit par ailleurs contenir les informations relatives aux modalités de recueil de l’accord du salarié, l’impossibilité de bloquer le trop-perçu s’il a été affecté à un plan d’épargne salariale et son reversement intégral sous la forme d’une retenue sur salaire en l’absence d’une telle affectation.
- Congé de paternité et d’accueil de l’enfant : les absences afférentes sont assimilées à des périodes de présence s’agissant de la répartition de la participation ou de l’intéressement. En cas de répartition proportionnellement au salaire, les salaires à prendre en compte sont ceux qu’aurait perçu le bénéficiaire s’il n’avait pas été absent.
- Plan de partage de la valorisation de l’entreprise: ce dispositif facultatif permet de verser au salarié une prime de partage de la valorisation de l’entreprise lorsque la valeur de l’entreprise augmente sur une période de 3 ans selon les modalités fixées dans un accord de plan de partage de la valorisation de l’entreprise. La prime de partage de la valorisation de l’entreprise serait exonérée de cotisations sociales salariales et patronales jusqu’en 2028, mais resterait soumise à CSG et CRDS ainsi qu’à une contribution spécifique de 20 %.
Le décret du 29 juin 2024 vient préciser les modalités de dépôt de l’accord qui subordonne le bénéfice du régime de faveur susvisé. Celui-ci doit être déposé avec ses avenants et annexes sur la plateforme Téléaccord.
L’accord fait alors l’objet d’un contrôle par l’URSSAF selon les mêmes modalités que pour les accords de participation et d’intéressement. Les exonérations sociales sont réputées acquises en l’absence d’observation de l’URSSAF à l’issue du délai de 3 mois.
Après le dépôt de l’accord, l’employeur doit par ailleurs remettre au salarié une fiche distincte du bulletin de salaire mentionnant le montant de référence attribué à chaque salarié et les éventuels critères de modulation, ainsi que la règle de valorisation de l’entreprise.
La somme attribuée à un salarié au titre d’une prime de partage de la valorisation de l’entreprise doit faire l’objet d’une fiche distincte du bulletin de salaire mentionnant notamment le montant de référence attribué au salarié pour le calcul de sa prime, le montant de la prime attribuée, la retenue opérée au titre de la CSG/CRDS, la possibilité d’affectation de cette somme sur un plan d’épargne, le délai de la demande d’affectation (15 jours maximum) et, lorsque la prime est affectée à un plan d’épargne, le délai à partir duquel les droits seront négociables ou exigibles et les cas de déblocages anticipés.
Si un salarié quitte l’entreprise avant l’expiration de la période de 3 ans du plan de partage de la valorisation de l’entreprise, l’employeur doit lui demander l’adresse à laquelle il pourra être informé de ses droits et de le prévenir de ses changements d’adresse éventuels.
- Nouveau plafond applicable aux versements unilatéraux des employeurs aux PEE et aux plans d’épargne retraite : initialement fixé à 2% du PASS, le plafond est fixé à hauteur de la PPV, soit à 3.000 € par an par principe et 6.000 € par an dans certains cas, notamment lorsqu’un accord d’intéressement a été mis en place.
- Orientation des PEE et plans d’épargne retraite d’entreprise vers des fonds verts : en application de la loi « partage de la valeur», les PEE doivent offrir la possibilité d’affecter une partie des sommes épargnées à l’acquisition de parts d’au moins un fonds labellisé ou d’un fonds nourricier d’un fonds labellisé au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l’investissement socialement responsable. Le décret du 29 juin 2024 fixe la liste des cinq labels retenus :
- Le label « investissement socialement responsable » ;
- Le label « France finance verte » ;
- Le label « relance » ;
- Le label « finansol » ;
- Le label « Comité intersyndical de l’épargne salariale ».
- Base de données économiques, sociales et environnementales : le décret du 5 juillet 2024 prévoit l’insertion dans cette base de données, dans la section « fonds propres, endettement et impôts», des informations relatives aux impôts et taxes contenues dans le rapport relatif à l’impôt sur les sociétés qui doit être établi par toute société commerciale qui ne contrôle ni n’est contrôlée par une autre société, qui a un établissement stable à l’étranger et qui réalise à la clôture des deux exercices consécutifs un chiffre d’affaires net de plus de 750.000.000 €.
Outre les décrets susvisés, le ministère du Travail vient de publier trois questions-réponses relatives :
- A l’expérimentation d’une nouvelle obligation de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à 49 salariés réalisant des bénéfices réguliers ;
- Au partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal ;
- A l’expérimentation dans les entreprises de moins de 50 salariés d’un régime de participation appliquant une formule dérogatoire à la formule légale de participation.
Concernant les entreprises de 11 salariés et plus réalisant des bénéfices réguliers et non tenues de mettre en place la participation, il est précisé que :
- L’expérimentation sera applicable à compter du 1er janvier 2025 pour 5 ans à compter de la promulgation de la loi de partage de la valeur et prendra donc fin le 29 novembre 2028 ;
- Elle concerne les entreprises constituées sous forme de société et notamment pas les entreprises individuelles ;
- Elle ne concerne pas les entreprises disposant déjà d’un accord d’intéressement ou de participation ;
- Pendant la période moratoire de 5 ans faisant suite au franchissement du seuil de 50 salariés et suspendant l’obligation de mettre en place un dispositif de participation, l’entreprise restera soumise à ce dispositif expérimental.
- L’obligation de mettre en place un dispositif de partage de la valeur se posera pour la première fois aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025 sur la base des trois exercices précédents (2022, 2023 et 2024) ;
- Lorsqu’une société entre dans le champ d’application de ce dispositif, elle peut recourir à quatre dispositifs de partage de la valeur (participation, intéressement, abonnement à un plan d’épargne salariale ou versement d’une prime de partage de la valeur), chacun de ces dispositifs pouvant être mis en place dans les conditions qui lui sont propres et notamment, el cas échéant, par décision unilatérale.
Concernant les entreprises d’au moins 50 salariés, celles-ci sont tenues, à titre expérimental, dès lors qu’elles sont pourvues d’au moins un délégué syndical, de négocier sur les conséquences d’un bénéfice exceptionnel s’agissant du partage de la valeur. Cette obligation se traduit en principe au moment de la négociation du dispositif d’intéressement et de participation. Une échéance au 30 juin 2024 avait cependant été spécifiquement prévue pour les entreprises disposant déjà d’un accord d’intéressement ou de participation en cours de validité au moment de la promulgation de la loi.
L’administration du travail précise que :
- Cette nouvelle obligation pèse sur les entreprises assujetties à la participation compte tenu de leur effectif (50 salariés et plus) et qui disposent d’un ou plusieurs délégués syndicaux, lorsqu’elles ouvrent une négociation relative à l’intéressement ou à la participation. Ces trois conditions sont cumulatives (sous réserve de l’échéance du 30 juin 2024 spécifique à l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif).
- Ne sont pas soumises à cette nouvelle obligation les entreprises qui disposent d’un accord de participation reposant sur une formule de calcul dérogatoire plus favorable que la formule de calcul légal ou disposant d’un accord comprenant déjà une clause spécifique sur la prise en compte d’une augmentation exceptionnelle des bénéfices et des modalités de partage de la valeur qui en découlent.
- Les entreprises qui bénéficient, à la date d’entrée en vigueur de la loi, d’un report supplémentaire de 3 ans quant à la mise en place de la participation au motif qu’elles sont déjà couvertes par un accord d’intéressement, ne sont pas concernées par cette nouvelle obligation pendant le temps de report.
- Une entreprise ne dégageant pas de bénéfice net fiscal permettant le calcul de la réserve spéciale de participation, mais assujettie à la participation en raison de son effectif, devrait quand même négocier sur le partage de la valeur en cas de bénéfice exceptionnel dès lors qu’elle est dotée d’au moins un délégué syndical.
- La négociation peut être menée au niveau de l’entreprise, de l’UES, du groupe ou infragroupe, comme pour les dispositifs d’intéressement et de participation.
Concernant la participation dérogatoire des entreprises de moins de 50 salariés, le ministère du Travail indique que :
- Les entreprises concernées peuvent conclure un accord pour mettre en place un dispositif dérogatoire au titre de leur premier exercice clos à compter du 30 novembre 2023 ;
- Le dernier exercice d’application de l’expérimentation ne peut pas se terminer au-delà du 29 novembre 2028 ;
- La formule retenue peut avoir un résultat moins-disant comme un résultat mieux-disant que la formule légale ;
- Il convient de respecter l’un des quatre plafonds prévus en cas de formule dérogatoire :
- 50% du bénéfice net comptable ;
- Ou, au choix des parties, l’un des trois plafonds suivants : bénéfice net comptable diminué de 5% des capitaux propres, bénéfice net fiscal diminué de 5% des capitaux propres, ou 50% du bénéfice net fiscal.
- Ce dispositif concerne les entreprises qui ne sont pas tenues de mettre en place un régime de participation. Cela concerne naturellement les entreprises de moins de 50 salariés, mais également les entreprises d’au moins 50 salariés qui bénéficient du moratoire de 5 ans ou qui bénéficient du délai supplémentaire de 3 ans de mise en place au motif qu’elles étaient déjà couvertes par un accord d’intéressement.
L’administration considère que ce dispositif serait également ouvert aux entreprises d’au moins 50 salariés assujetties à titre obligatoire à la participation, mais dont le bénéfice net fiscal est inexistant ou insuffisant pour générer une réserve spéciale de participation, lesquelles devront surveiller tous les ans leur bénéfice net fiscal au cas où il deviendrait suffisant pour calculer la réserve spéciale de participation selon la formule légale.
En revanche, une entreprise de moins de 50 salariés faisant partie d’une Unité Economique et Sociale (UES) d’au moins 50 salariés et dégageant un bénéfice suffisant ne peut pas bénéficier du dispositif.
- Ce dispositif ne peut être mis en place que par adhésion à un accord de branche agréé ou conclusion d’un accord selon les règles spécifiques à la participation (il n’est pas possible de le mettre en place par décision unilatérale).
- Une entreprise disposant déjà d’un accord de participation ne peut pas le modifier pour mettre en place ce dispositif expérimental.
- Si les accords de participation volontaire doivent être conclus avant l’expiration du délai d’un an suivant la clôture de l’exercice au titre desquels sont nés les droits des salariés, en cas de dérogation au mode de calcul de la réserve spéciale de participation, le respect du caractère aléatoire de la participation impose que ce mode de calcul dérogatoire s’applique à au moins un exercice dont les résultats ne sont ni connus ni prévisibles au moment de la signature de l’accord.
- La formule dérogatoire doit reposer sur des résultats financiers. Elle ne peut pas se fonder sur des objectifs de performance de l’entreprise comme pour l’intéressement.
Sophie WATTEL
Avocat spécialiste en droit du travail