Par deux arrêts du 22 décembre 2023 (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023, n° 20-20648 et 21-11.330, publiés au bulletin et au rapport), l’assemblée plénière de la Cour de cassation – laquelle connaît des affaires qui posent une question de principe et créée une divergence de solutions entre les juridictions – opère un revirement de jurisprudence relatif à la recevabilité en justice des modes de preuve considérés comme déloyaux.

Depuis un arrêt de 2011, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a consacré un principe de loyauté dans l’administration de la preuve : lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie à l’insu d’une personne (par exemple un enregistrement), grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de ce type de preuve.

Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle revient sur cette solution et considère désormais que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Comme l’indique, l’assemblée plénière, « il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».

Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.) Ainsi le juge devra mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence (ex. : le droit à la vie privée). Il devra vérifier :

– que cette production est indispensable : la preuve apportée doit être la seule possible pour établir la vérité ;

– que l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.

Ce revirement de jurisprudence répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse.

En l’espèce, la cour d’appel avait écarté les enregistrements clandestins versés aux débats par un employeur aux fins de prouver la faute grave ayant fondé le licenciement d’un salarié au motif qu’ils avaient été obtenus de manière déloyale.

L’assemblée plénière casse la décision de la Cour d’appel « à qui il appartenait de procéder au contrôle de proportionnalité ». L’affaire est renvoyée devant une autre cour d’appel. Celle-ci devra vérifier, d’une part, que les enregistrements étaient indispensables pour prouver la faute grave du salarié et, d’autre part, que l’utilisation de ces enregistrements réalisés à l’insu du salarié ne portent pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.

Rendue à l’occasion d’un litige relevant du droit du travail, cette décision a vocation à s’appliquer à l’ensemble des litiges relevant de la Cour de cassation (soit tous les litiges judiciaires à l’exclusion notamment des litiges relevant des juridictions administratives).

Ce faisant, l’assemblée plénière uniformise les règles applicables aux modes de preuve illicites et déloyaux mettant ainsi fin à une distinction souvent malaisée en pratique, ainsi que les règles applicables en matière civile et pénale.

Maître Sophie WATTEL, avocat spécialiste en droit du travail