Le management package est un système d’intéressement des cadres et dirigeants qui, lors d’une opération de restructuration, investissent des fonds personnels dans le cadre d’un LBO (rachat d’entreprise par endettement) d’une société du groupe qui les emploie, société qui sera revendue à brève échéance avec l’espérance de réaliser une plus-value substantielle.

Le Conseil d’Etat par un arrêt du 26 septembre 2014 avait admis la requalification des plus-values de cession de titres en salaires lorsqu’il ressort des circonstances de fait que les cédants n’ont pas pris de véritables risques économiques du fait de l’existence de conditions avantageuses lors de l’achat des titres motivées par l’activité qu’ils ont exercée en tant que dirigeant ou cadre de la société ou de ses filiales.

Dans une affaire de restructuration d’un important groupe d’édition, certains cadres et dirigeants ont été réunis dans une société dite « Manager Company » détenant les titres d’une société cible (société A), ces derniers étant destinés à être revendus à bref délais (4 ans). Il leur a été proposé d’acquérir des actions ordinaires au prix unitaire de 20 € et des actions de préférence pouvant être converties en actions ordinaires (avant la cession ou l’introduction en bourse). Le nombre des actions ordinaires converties étant fixé en fonction du rendement de la société avec un effet de levier encore plus important si le rendement était supérieur à 15% ; le prix étant identique à celui des actions ordinaires.

L’administration, certainement encouragée par la décision précitée, a adressé des propositions de redressement à plusieurs cadres visant à requalifier une partie de la plus-value de cession des titres en supplément de rémunération. Elle a en effet estimé qu’une quote-part (63,54%) de la plus-value était liée aux conditions préférentielles de conversion des actions de préférence en actions ordinaires, ces conditions avantageuses l’ayant été en raison de leur emploi par le groupe. A ce titre, cette quote-part de gain s’apparentait à de la rémunération devant être imposée comme telle.

Ces redressements ont été contestés par les contribuables et ont donné lieu à plusieurs décisions : deux rendues par la Cour Administrative d’Appel de PARIS le 27 juin 2019 et deux par le Conseil d’Etat le 24 juillet 2019 aboutissant à des solutions différentes en raison des situations de fait non totalement identiques.

Les affaires devant la CAA de Paris :

Dans une 1ère affaire (CAA PARIS 27 juin 2019 N°16PA03027), la salariée avait inscrit les titres de la « Manager Company » sur un PEA. L’administration fiscale, en recourant à la procédure d’abus de droit, a pu requalifier le revenu dégagé par la cession des titres en complément de salaire du fait des conditions avantageuses de souscription et d’absence d’aléa économique. Cette position a été confirmée par la Cour administrative d’appel de PARIS qui énonce qu’« en logeant ces titres dans un PEA afin de percevoir des salaires en franchise d’impôt, Mme E…avait cherché à bénéficier d’une application littérale des textes relatifs au fonctionnement des PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs dans le seul but de pouvoir bénéficier de l’exonération d’impôt instituée par les dispositions du 5° bis de l’article 157 du code général des impôts. »

Dans la 2ème espèce (CAA PARIS 27 juin 2019 N°16PA03029), le contribuable avait donné une partie des titres souscrits à son épouse et ses 3 enfants (53%), une seconde partie des titres (26%) a été cédée à une société civile, non soumise à l’impôt sur les sociétés, constituée avec son épouse, et il avait conservé 21% des titres en propre. La Cour Administrative d’Appel de PARIS a validé cette requalification uniquement pour les titres conservés en propre.

Les affaires devant le Conseil d’Etat :

Par deux arrêts du 24 juillet 2019, le Conseil d’Etat a censuré la position de l’administration fiscale qui avait requalifié les plus-values réalisées en rémunération imposable suivant sur ce point l’analyse développée par le Tribunal Administratif puis la Cour Administrative d’Appel de PARIS.

Dans ces deux affaires, les cadres détenant les titres de la « Manager Company » avaient revendu au prix d’achat les titres de cette dernière à une société civile soumise à l’impôt sur le revenu, que chacun avait préalablement constituée avec son épouse respective. La société civile a, quelques mois plus tard, vendu les titres de la « Manager Company » en réalisant ainsi une plus-value substantielle. Le gain de cession a été imposé au nom des associés de la société civile, à l’impôt sur le revenu, en tant que plus-value de cession sur valeurs mobilières en application des articles 8 et 238 K bis du CGI.

L’administration contestant cette position a adressé une proposition de rectification à chacun des couples en estimant qu’une fraction du gain était constitutive d’une rémunération taxable dans la catégorie des traitements et salaires.

Le Conseil d’Etat a fait droit aux demandes des contribuables et accordé la décharge des impositions supplémentaires. La haute juridiction relève à juste titre que la plus-value étant réalisée par la société civile et non par le cadre dirigeant, l’administration ne pouvait pas requalifier les gains en capital en rémunération à défaut d’avoir utilisé la procédure d’abus de droit par laquelle elle aurait pu apporter la démonstration de la fictivité de la société civile ou que sa création avait été motivée dans le seul but d’éluder l’impôt. Pour le Conseil d’Etat, l’administration était donc tenue de tirer toutes les conséquences de l’existence de cette société civile et constater l’imposition au titre des plus-values sur cession de valeurs mobilières.

L’interposition d’une société civile a permis, en l’espèce, d’écarter la requalification, de la plus-value en salaire. Toutefois, l’administration a surtout été censurée de ne pas avoir mis en œuvre la procédure d’abus de droit prévue à l’article L64 du LPF et respecté les garanties spécifiques accordées au contribuable dans une telle procédure.

On comprend à la lecture de ces décisions que si l’administration apporte la preuve que l’investissement réalisé par le salarié est exempt de risques financiers du fait des conditions avantageuses d’acquisition qui n’ont pu être motivées que par leur qualité de salarié au sein du groupe, la requalification du gain en salaires serait validée par la haute juridiction. Par ailleurs, en cas d’interposition de société ou d’utilisation d’un PEA, l’administration fiscale pourrait également remettre en cause la nature de gain en capital au profit des traitements et salaires à condition de mettre en œuvre la procédure d’abus de droit et de démontrer soit la fictivité de la société ou le but exclusivement fiscal, (c’est à dire l’utilisation littérale d’un texte à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur et inspirée par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles).

Il convient d’être particulièrement vigilent sur ces opérations puisque l’administration fiscale dispose aujourd’hui, pour les actes réalisés à compter du 1er janvier 2020, d’une arme supplémentaire dans son escarcelle avec le mini abus de droit lui permettant d’écarter comme ne lui étant pas opposables les actes qui ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale qui aurait normalement dû être supportée si l’acte n’avait pas été passé ou réalisé.

CE 24/07/2019 n°429618 et 429619

Me Marlène ALONSO, avocat spécialiste en droit fiscal

Me Alexandra GASC-MIZIAN, avocat