Saisie en avril 2015 de deux questions préjudicielles émanant de juridictions belge et française, toutes deux relatives aux licenciements de salariées ayant refusé de retirer leurs voiles lors de contact avec la clientèle, la Cour de Justice de l’Union Européenne a fixé sa position dans deux arrêts en date du 14 mars 2017 (aff. C-157-15 et C-188-15).

Concernant le premier arrêt (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157-15), la CJUE était saisie de la question suivante : la règle en vigueur chez l’employeur interdisant à tous les travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et entrainant donc l’interdiction de porter un foulard en tant que musulmane sur le lieu de travail constitue-t-elle une discrimination directe ?

La CJUE répond que : « l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive.

En revanche, une telle règle interne d’une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. (…)

S’agissant, en premier lieu, de la condition relative à l’existence d’un objectif légitime, il convient de relever que la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse doit être considérée comme légitime. (…) En ce qui concerne, en deuxième lieu, le caractère approprié d’une règle interne telle que celle en cause au principal, il y a lieu de constater que le fait d’interdire aux travailleurs le port visible de signes de convictions politiques, philosophiques ou religieuses est apte à assurer la bonne application d’une politique de neutralité, à condition que cette politique soit véritablement poursuivie de manière cohérente et systématique (…). S’agissant, en troisième lieu, du caractère nécessaire de l’interdiction en cause au principal, il convient de vérifier si cette interdiction se limite au strict nécessaire. En l’occurrence, il faut vérifier si l’interdiction du port visible de tout signe ou vêtement susceptible d’être associé à une croyance religieuse ou à une conviction politique ou philosophique vise uniquement les travailleurs de G4S qui sont en relation avec les clients. Si tel est le cas, ladite interdiction doit être considérée comme strictement nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

En l’occurrence, s’agissant du refus d’une travailleuse telle que Mme Achbita de renoncer au port du foulard islamique dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès de clients de G4S, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eût été possible à G4S, face à un tel refus, de lui proposer un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement. Il incombe à la juridiction de renvoi, eu égard à tous les éléments du dossier, de tenir compte des intérêts en présence et de limiter les restrictions aux libertés en cause au strict nécessaire ».

Concernant le second arrêt (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188-15), la question posée était la suivante : le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieure d’études, portant un foulard islamique constitue-t-il une exigence professionnelle essentielle et déterminante pouvant justifier le licenciement de ladite salariée ?

La CJUE répond : « pour le cas où le licenciement de Mme Bougnaoui ne serait pas fondé sur l’existence d’une règle interne » (cf. arrêt précédent), « il convient d’examiner, ainsi qu’y invite la question de la juridiction de renvoi, si la volonté d’un employeur de tenir compte du souhait d’un client de ne plus voir de services fournis par une travailleuse qui, telle Mme Bougnaoui, a été assignée par cet employeur auprès de ce client et qui porte un foulard islamique, constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

(…) La notion d’«exigence professionnelle essentielle et déterminante », (…) renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

Il convient par conséquent de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition » et donc justifier un licenciement.

Le premier arrêt confirme la possibilité introduite par la loi travail à l’article L.1321-2-1 du Code du travail permettant d’insérer dans un règlement intérieur des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.

Conseil :                                           

Concernant la validité d’une stipulation introduisant le principe de neutralité dans l’entreprise, qui pourra notamment être contenue dans le règlement intérieur de celle-ci, il conviendra d’opter pour une rédaction suffisamment large et générale. La clause pourra traiter, par exemple, comme c’était le cas en l’espèce, de tous signes visibles relatifs aux convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou du fait d’accomplir tous rites en découlant.

Concernant son application et notamment le fait de fonder une sanction disciplinaire tel qu’un licenciement sur le non-respect d’une telle stipulation, il conviendra de veiller à ce que la clause remplisse les conditions suivantes :

– poursuite d’un objectif légitime (politique de neutralité à l’égard des clients) ;

– caractère approprié (application cohérente et systématique de la règle à l’ensemble des salariés) ;

– caractère nécessaire (limitation aux travailleurs en relation avec les clients).

En revanche, comme l’a retenu la CJUE, en l’absence d’une telle stipulation respectant les critères susvisés, le seul refus d’un client d’être en relation avec une salariée portant un foulard islamique ne saurait justifier une sanction disciplinaire et notamment un licenciement.

Sophie WATTEL et Zaïra APACHEVA