Il est parfois tentant pour les entreprises de mettre en place des stratégies afin d’optimiser leurs chances d’obtenir un marché public. Par exemple, faire répondre à un même appel d’offre plusieurs filiales d’un même groupe de société en est une.

Traditionnellement, ce stratagème qualifié d’entente était sanctionné sur le fondement de l’article L. 420-1 du Code de commerce (ou article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne si le droit de l’Union européenne est applicable). Cet article prohibe les pratiques concertées des entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet de limiter le jeu de la libre concurrence sur un marché pertinent.

Mais, pour qu’il y ait entente, encore faut-il être en présence d’entités distinctes. C’est ce qu’avait rappelé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2018, considérant que tel n’est pas le cas de sociétés filiales faisant parti d’un même groupe de sociétés (CJUE, 17 mai 2018, C-531/16, « Ecoservice Projektai » UAB).

Sous l’influence du raisonnement de la CJUE, l’Autorité de la concurrence modifie sa position et considère qu’en l’absence d’éléments permettant d’établir l’autonomie des filiales ayant répondu à un même appel d’offre, il n’y a pas lieu de qualifier la concertation d’entente prohibée (Autorité de la concurrence, déc. 25 nov. 2020, n°20-D-19).

Seul le droit des marchés publics peut donc s’appliquer et sanctionner une concertation entre différentes filiales d’un même groupe de société. En effet, vouloir tromper le pouvoir adjudicateur porte atteinte au principe d’égalité des traitements entre les candidats à un marché public.

Pas d’exonération pour ce stratagème donc, mais une substitution de fondement juridique.

Cette décision nous rappelle qu’en droit de la concurrence, peu importe le principe d’autonomie de la personne morale applicable aux sociétés (article 1842 du Code civil), ce qui compte c’est l’entreprise en tant qu’unité économique. Le groupe de sociétés est donc vu comme une seule et même entreprise économique, et ce, sous l’influence du droit de l’Union européenne. D’ailleurs, l’Autorité de la concurrence avait déjà jugé qu’en l’absence d’autonomie, il n’était pas possible de reconnaitre une entente illicite entre des sociétés du même groupe (ex : décision 06-D-26 du 15 sept. 2006).

En l’espèce, l’absence d’autonomie était justifiée par le fait que la société mère détenait presque exclusivement les filiales. Reste à savoir si la solution serait la même lorsque les liens capitalistiques entre la mère et les filiales sont moins importants.

La Cour de justice semble l’admettre, l’Autorité de la concurrence cite ce raisonnement de la Cour, tout en faisant une application in concreto, eu égard des circonstances de l’espèce. Les décisions ultérieures permettront de vérifier ce point.

Me Jean-Pascal CHAZAL Avocat spécialiste en Droit commercial

Marine COMTE Master droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies