Auparavant, la Cour de cassation avait considéré que si le principe d’égalité de traitement n’a pas à être respecté en cas de transfert des contrats de travail par l’effet de la loi (article L.1224-1 du Code du travail visant notamment les cas de vente, fusion et transformation du fonds et applicable à toute cession d’une entité économique autonome telle que définie par la jurisprudence), il n’en va pas de même lorsque le transfert des contrats de travail résulte de dispositions conventionnelles (stipulation d’une convention collective ou d’un contrat). Dans ce cas la haute juridiction avait considéré que le principe d’égalité de traitement entre les salariés transférés et les salariés de l’entreprise cessionnaire devait s’appliquer. En conséquence, toute différence de traitement entre ces deux catégories de salariés, notamment en matière de rémunération, devait pouvoir être justifiée par une différence de situation entre les salariés concernés. A défaut, elle était illégale et ouvrait droit à indemnisation pour les salariés lésés (Cass. soc. 15 janvier 2014, n°12-25402, 12-25403, 12-25406 et 12-25407 ; 16 septembre 2015, n°13-26788).

Cette solution était source de difficultés pour les employeurs pouvant se voir transférer les contrats de travail de salariés bénéficiant de rémunérations et d’avantages bien plus favorables que ceux accordés à leurs salariés.

Par un arrêt du 30 novembre 2017 (Cass. soc. 30 novembre 2017, n°16-20549 PBRI), la Cour de cassation opère un revirement en considérant que « la différence de traitement entre les salariés dont le contrat de travail a été transféré en application d’une garantie d’emploi instituée par voie conventionnelle par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés (…) et les salariés de l’employeur entrant, qui résulte de l’obligation à laquelle est tenu ce dernier de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qui leur étaient reconnus chez leur ancien employeur au jour du transfert, n’est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle et se trouve dès lors justifiée au regard du principe d’égalité de traitement ».

Le transfert conventionnel des contrats et l’obligation qui en découle pour le nouvel employeur de maintenir les droits des salariés transférés, constitue en soi une différence de situation permettant un traitement différencié des salariés.

Outre le grand intérêt pratique de cette décision pour les employeurs concernés, cette décision revêt un autre intérêt au regard de sa motivation.

En effet, dans sa décision, la Cour de cassation prend la peine de préciser « que l’évolution générale de la législation du travail en matière de négociation collective et de la jurisprudence en ce qui concerne le principe d’égalité de traitement à l’égard des accords collectifs conduit à apprécier différemment la portée de ce principe à propos du transfert des contrats de travail organisé par voie conventionnelle ». La Cour de cassation fait ici référence à l’introduction par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dite « LOI TRAVAIL » d’un article L.1224-3-2 dans le Code du travail (modifié par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017) disposant que « lorsqu’un accord de branche étendu prévoit et organise la poursuite des contrats de travail en cas de succession d’entreprises dans l’exécution d’un marché, les salariés du nouveau prestataire ne peuvent invoquer utilement les différences de rémunération résultant d’avantages obtenus, avant le changement de prestataire, par les salariés dont les contrats de travail ont été poursuivis». Il est à noter que la Cour de cassation paraît faire une application encore plus large que la loi puisque là où l’article L.1224-3-2 mentionne exclusivement « les différences de rémunération », la Cour de cassation vise toute différence de traitement.

Ce faisant la Cour de cassation prend en considération les évolutions législatives pour justifier son revirement et effectuer une application rétroactive des nouvelles dispositions législatives, c’est à dire une application à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Ceci alors que ces faits devraient, en principe, être jugés en application des dispositions anciennes.

Il sera intéressant de voir si la Haute juridiction fera de même s’agissant des très nombreux points de droit modifiés par les ordonnances MACRON et leurs décrets d’application (sanction du non-respect d’une garantie de fond prévue par une convention collective, appréciation du périmètre du reclassement en cas de licenciement pour inaptitude ou de licenciement économique et notamment dans le cadre d’un réseau de franchise, etc.).

A suivre…

Sophie WATTEL