Précisions sur la méthode d’évaluation de cession temporaire d’usufruit de parts de sociétés non cotées
Par deux arrêts rendus le même jour, le Conseil d’Etat apporte un éclairage fort intéressant sur les méthodes d’évaluation à utiliser lors des opérations de cession temporaire d’usufruit de parts de SCI.
Dans les deux espèces, soumises à l’analyse du Conseil d’Etat, les associés personnes physiques d’une société civile immobilière non soumise à l’impôt sur les sociétés ont cédé de manière temporaire l’usufruit de leurs parts sociales à une société soumise à l’impôt sur les sociétés.
Fiscalement, la société usufruitière des parts de la SCI est imposable sur la quote-part de résultat de la SCI lui revenant, que les résultats soient mis en distribution ou non. En application de l’article 238 bis K du CGI, le résultat de la SCI est déterminé, pour ses associés soumis à l’IS, selon les règles des bénéfices industriels et commerciaux, ce qui permet, notamment, de constater un amortissement de l’immeuble réduisant ainsi l’assiette imposable revenant à la société usufruitière. Les parts sociales acquises en usufruit sont inscrites à l’actif du bilan de la société usufruitière et amorties sur la durée de l’usufruit. L’associé personne physique nu-propriétaire, n’est pas imposable sur les résultats de la SCI pendant toute la durée du démembrement. A la fin du démembrement, l’associé nu-propriétaire retrouve la pleine propriété des parts de SCI et pourra, le cas échéant, bénéficier des abattements pour durée de détention applicables aux plus-values immobilières réalisées par des particuliers.
La mise en œuvre de cette opération pose la question cruciale de la valeur de l’usufruit cédé.
En principe, la valorisation doit être opérée sur la base de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et sur des sociétés de même type. Toutefois, s’agissant de titres de sociétés non cotées, il est difficile, voire impossible de trouver des comparables. Il importe d’utiliser d’autres méthodes, notamment la méthode des flux de trésorerie actualisés, dite méthode des discounted cash-flow (DCF).
Au cas particulier, dans l’arrêt Société « VP Santé » les contribuables avaient adopté la méthode des comparables en se fondant sur une cession d’usufruit de parts de SCI réalisée 9 ans auparavant conduisant à une valeur de 130 000 €.
S’agissant de l’arrêt « Hôtel Restaurant Luccotel », les contribuables avaient utilisé le barème de l’article 669 du CGI applicable en matière de donation d’usufruit qui valorise l’usufruit à 23% de la valeur en pleine propriété par tranche de 10 ans. La valorisation retenue pour les parts était ainsi de 460 €.
L’administration a contesté la valeur de l’usufruit inscrite au bilan de la société usufruitière des parts des SCI, rehaussant d’autant son résultat imposable. Dans ces deux espèces, l’administration a déterminé la valeur de l’usufruit en se fondant sur la méthode DCF c’est-à-dire en capitalisant les revenus générés au niveau de la SCI, avec un taux d’actualisation de 5%, et en appliquant un abattement de 33,33% correspondant à l’imposition théorique à l’impôt sur les sociétés. Selon ses estimations, pour la société VP Santé, la valeur à retenir aurait dû être de 1 817 000 € ramenée à 896 047 € après avis de la commission des impôts directs. Pour l’hôtel restaurant Luccotel, l’administration a retenu la valeur de 632 993 €. La différence de valeur a ainsi été rectifiée au sein des sociétés usufruitières des parts en procédant au rehaussement de leur actif net, entrainant ainsi un profit imposable à l’impôt sur les sociétés en application de l’article 38 du CGI.
Le Conseil d’Etat a cassé les arrêts des Cours Administratives d’appel pour erreur de droit, en rappelant que « le revenu futur attendu par un usufruitier ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles qui peut être fonction des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunts ou des éventuelles mises en réserve pour le financement d’investissements futurs, lorsqu’elles sont justifiées par la société ».
En effet, la méthode de l’administration avait pour effet de retenir un résultat imposable, alors que seul le revenu attendu par l’usufruitier doit faire l’objet de la valorisation. Ce revenu peut être fortement impacté en présence d’emprunts contractés pour acquérir les actifs de la SCI ou encore lorsque le choix est fait de capitaliser tout ou partie des bénéfices en réserve afin de créer de la trésorerie affectée ultérieurement à d’autres investissements.
Le Conseil d’Etat rappelle ainsi l’impérieuse nécessité pour les juridictions du fond de distinguer le revenu distribuable du revenu distribué et de procéder à une appréciation factuelle des flux de revenus.
Conseil d’Etat 30/09/2019 9ème et 10ème chambres réunies pourvois n°419855 Hôtel restaurant Luccotel et 419860 Société VP Santé
Me Marlène ALONSO, avocat spécialiste en droit fiscal
Me Alexandra GASC-MIZIAN, avocat